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écrit-il, elle ne m’a rendu ni plus sage ni plus habile, je lui dois seulement d’avoir vu l’envie se déchaîner contre moi et d’avoir perdu le repos dont je jouissais. » Quoi qu’il en soit, pour le moment il tenait ce qu’il avait voulu ; mais que serait une couronne, s’il fallait en jouir tout seul ? Un vif désir le possédait à présent de reparaître devant Laure en triomphateur. Il fit route vers Avignon, non toutefois sans stationner quelque peu à Parme, chez son bon ami Azzo da Correggio, un des plus méchans petits despotes d’Italie à cette époque ; mais de ce qu’un poète aime à se passionner dans ses vers pour la liberté et la grandeur de son pays, cela ne saurait l’empêcher de fréquenter les tyrans et même de disserter platoniqnement avec eux sur l’art de rendre heureux les peuples.

Il était écrit que cette rentrée de Pétrarque dans Avignon serait environnée de tous les prestiges. Tandis que l’amant de Laure goûtait à Modène les délices d’une vie de chanoine et d’archidiacre, achetait maison à Parme et maison à Modène, Benoît XII meurt et Clément VI ceint la tiare. Rome alors envoie, pour féliciter le nouveau pape, une députation à la tête de laquelle on place Cola Rienzi, que sa faconde populaire désignait d’avance, et dont Pétrarque, devenu citoyen romain par son couronnement, fait aussi partie. L’ambassade traversant Parme, il s’y joignit, prit connaissance des instructions, et, tout le temps du voyage, s’en inspira, menant de pair les homélies latines destinées à convaincre le saint-père et les gentils sonnets à sa maîtresse. Le jour de l’audience, Rienzi le premier porta la parole. Son discours avait pour thème d’exhorter le souverain pontife à revenir habiter Rome. Il eut d’abord de la douceur, du pathétique, puis soudain ses accens s’échauffèrent et l’invitation discrète de l’exorde allait tourner à la sommation quand fort heureusement Pétrarque, d’un accord de sa lyre, ramena l’harmonie. Il chanta également Rome en proie aux loups qui la dévoraient, Rome n’attendant sa délivrance que du retour de l’époux absent. C’était la même mélodie, mais sur un autre mode et présentée dans la langue des dieux. Le vers a ses immunités ; on écoute d’un poète ce qu’on ne supporterait pas d’un tribun. Clément VI n’en fut pas davantage convaincu ; il aimait trop cette vie commode et douce d’Avignon pour l’échanger contre les périls d’un séjour dans Rome ; mais, s’il oublia Rienzi, il se souvint de Pétrarque, qui seul, au demeurant, tira profit de cette mission dont les résultats furent d’ailleurs absolument nuls pour l’Italie.

IV.

Laure et lui s’étaient revus ; l’ancienne flamme brillait plus vive, et cette fois des deux côtés. Laure avait à la fin tressailli. Cet