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Mais Pétrarque est Pétrarque ; son lyrisme, sans jamais faire éclater la forme qu’il s’est imposée, a par instans de sublimes coups d’aile. Qui ne connaît ces fameux vers, d’où l’enthousiasme déborde ? Yous prendriez cela pour la péroraison d’une ode, et ce n’est qu’un sonnet.


Que bénis soient le jour et le mois et l’année,
Le temps et la saison, et l’heure et le moment,
Que bénis soient les lieux et le pays charmant
Où, par ses deux beaux yeux, fut mon âme enchaînée !

Que bénie à jamais soit la plainte donnée
Au premier désespoir de mon égarement ;
Bénis l’arc, le carquois et la flèche empennée
Qui m’ont enfin au cœur blessé mortellement !

Et bénis tant de cris de joie et de détresse
Où j’ai mêlé le nom de ma belle maîtresse,
Mes larmes, mes soupirs, mes vœux, ma passion !

Et bénis tous ces chants qui sont mon héritage.
Et bénis mes pensers dont, seule et sans partage,
Elle est l’honneur, la gloire et l’adoration !


Cependant le désir de revoir Laure le ramène vers Avignon. Traversant seul en temps de guerre la forêt des Ardennes, il ne voit et ne poursuit que son rêve d’amour. Les branches d’arbre qui frissonnent, les ombres flottantes, sont des femmes, des beautés, entourant la céleste vision et lui formant cortège. Du plus loin qu’il aperçoit le Rhône : « Que tes flots se précipitent pour aller la saluer de ma part, » crie sa voix au torrent sacré. À Lyon, il descend le fleuve et rentre dans Avignon. Hélas ! quelle déconvenue ! On se bat de l’autre côté des monts ; entre les Orsini et les Colonna, la sanglante rixe s’est ranimée, et le cardinal Giovanni, en toute hâte, a couru au péril. C’est donc, pour l’heure présente, un ami, un protecteur de moins, et le plus puissant. Quant à Laure, sa rigueur, cause de tant de soupirs et de plaintes, n’a pas désarmé : « La neige qui blanchit loin du soleil est moins glacée. Voici, je ne me trompe pas, sept ans aujourd’hui que nuit et jour je soupire pour elle et me consume en vains efforts sans qu’il me soit permis d’espérer l’émouvoir jamais ! » Pétrarque, nous le savons, n’est qu’un admirable troubadour : il se monte la tête ; ces sonnets palpitans d’amoureux délire, son cœur ni sa main ne tremblent lorsqu’il les écrit, et parmi tant de cruels soupirs, il n’en est guère dont il n’ait d’avance combiné l’harmonie ; mais, en supposant que l’incomparable virtuose fût né sous la constellation des grands innamorati, en admettant qu’il eût vraiment aimé, le danger n’eût encore été pour lui que médiocre et nous n’aurions point à le plaindre, car il avait contre les peines de cœur deux refuges inexpugnables : le goût de