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qu’on s’est entendu avec Mme Nilsson, la cantatrice d’un seul rôle, et qui, en admettant qu’elle soit restée ce qu’elle était, et nous revienne douée de tous ses avantages d’autrefois, — ne saurait rendre aucun service dont l’art puisse avoir à profiter. Christine Nilson est un de ces luxes qu’un théâtre se permet lorsqu’il possède à demeure une troupe d’ensemble manœuvrant au complet. Malheureusement nous n’en sommes point là; il s’agit d’aviser au nécessaire, à l’indispensable. Que fait-on pour cela? On court à Londres engager la belle Ophélie pour une série de représentations, on continue ce désastreux régime des étoiles, en oubliant que ce que le public a le droit d’attendre d’un directeur de l’Opéra inaugurant la nouvelle salle, c’est une troupe d’artistes éprouvés, quelque chose d’éminent à la fois et de constitué, et non pas des exhibitions qui se succèdent et des soirées organisées after the english fashion.

On ne peut être partout ni tout dire. Chaque hiver, je me reproche de pécher par omission. En dehors du Conservatoire, des concerts populaires et des festivals de M. Lamouroux, bien des institutions musicales existent et prospèrent, dont on aimerait à s’occuper plus souvent. Les concerts Danbé, les séances chorales que M. Bourgault-Ducoudray dédie au dieu Haendel, mériteraient qu’on les suivît de près, d’autant que de ces efforts, de cette émulation, c’est en somme le grand art qui profite, et que sa propagande, tout en servant au culte de Mozart et de Beethoven, aide aussi beaucoup aux intérêts de notre jeune école instrumentale. À ce compte, la société Desjardins et Taudou, qui fonctionne depuis deux ans, a déjà rendu de précieux services; M. Taudou est un premier grand prix de Rome, M, Desjardins un premier prix de violon, et les pianistes de ce petit cercle intime, choisis parmi l’élite du Conservatoire, s’appellent Saint-Saëns et Mme Massart. Si je me suis tu sur M. Planté, mon excuse est au moins toute trouvée. Cette année, le pianiste girondin a passé presque inaperçu, et devant cette disgrâce, les fanatiques dont l’importun ramage obsédait naguère le public ont eu le bon esprit de renvoyer à des jours meilleurs les ovations et les triomphes. Ainsi passe la gloire, ainsi, pourrait-on dire également, elle revient, en faisant allusion aux succès qui accueillaient dans le même moment à Bordeaux une artiste qu’on s’étonnait de ne plus revoir : Wilhelmine Clauss, aujourd’hui Mme Szarvady. Celle-là ne joue que les maîtres; les variations, les caprices et les transcriptions ne l’ont jamais séduite, et vous pensez ce que ce noble et fier style, que nous lui connaissions de longue date, a dû gagner dans la retraite, l’étude et l’incessante fréquentation des classiques anciens et nouveaux. Clara Wieck, interprétant Schumann, touchait à l’idéal du genre, et rien plus facilement ne s’explique. Comment cette âme d’artiste n’eût-elle pas mieux que personne rendu la pensée d’un homme qu’elle avait épousé par amour, et qui l’avait tout imprégnée du souffle de son génie? Je