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dans les ténèbres il nous a légué le corbeau sanglant, les escargots sympathiques, les cartomanciens, les nécromanciens, les esprits frappeurs, les somnambules lucides et translucides, Mme Le Normand et Allan Kerdec, Alexis et Mlle Pigeaire, les médiums, les spirites, les tables tournantes, voyantes et parlantes, et peut-être, avant de nous vanter des progrès de notre civilisation, ferions-nous sagement de nous rappeler que, si le XVIIe siècle a eu le poison, le XIXe a eu la commune.

Deux siècles nous séparent de la chambre ardente, et, de même que M. de La Reynie, nous nous demandons comment de pareils forfaits ont pu se produire à une époque que nous sommes habitués à regarder comme la plus brillante de notre histoire. Cependant, si nous cherchons à pénétrer au fond des choses, nous ne tarderons pas à reconnaître que cette société, en apparence si régulière, cachait sous de splendides dehors bien des misères morales. Le mal datait de loin; elle avait hérité du XVIe siècle la superstition des sciences occultes, de la fronde l’habitude des intrigues secrètes, le mépris des lois, la fureur des duels. La piété sincère et militante avait fait place à la dévotion étroite et hypocrite que La Bruyère a flétrie dans Onuphre et Molière dans Tartuffe. Bien des gens ne priaient que des lèvres, et la foi n’échauffait plus que les âmes d’élite. Mais en même temps il existait dans toutes les classes comme une sorte d’aristocratie de vertu, de probité sévère, qui avait tout à la fois l’austérité et l’élégance des mœurs; elle donnait à l’armée d’héroïques soldats, aux parlemens et aux autres sièges royaux des magistrats intègres, indépendans, durs au travail, à l’église des prêtres qui vivaient dans l’édification, au jansénisme des saints et des martyrs. C’est d’après cette grande aristocratie de l’honneur et de l’intelligence, d’après elle seule que nous avons jugé le XVIIe siècle. Éblouis par son prestige, nous n’avons point regardé autour et au-dessous d’elle, et cependant c’était là, aussi bien dans les grands appartemens de Versailles que dans les rues de Paris, qu’il fallait, comme la chambre ardente, ouvrir une enquête. La Bruyère dans le chapitre de la Cour et Saint-Simon dans ses Mémoires se sont chargés de nous apprendre de quels élémens se composait en majorité cette] cohue à la fois orgueilleuse et servile, qui ne cherchait à édifier sa fortune que par la flatterie et la bassesse, et c’est en la suivant dans l’inextricable dédale de ses intrigues, c’est en voyant les implacables rivalités de ses ambitions qu’on arrive à comprendre comment les plus audacieux et les plus pervers ont tenté de s’avancer par le poison.

Ces femmes qui vont se placer sous la criminelle direction des pythonisses, ce sont les filles et les parentes de celles dont Bussy-Rabutin