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par les années, si éloignée par les incessantes transformations des élémens qui constituent la puissance sur mer des nations européennes, la suprématie maritime, conséquence assurée d’une ou deux grandes victoires où sombrait pour longtemps la marine vaincue, donnait à la marine victorieuse la souveraineté des mers dans la plus complète expression du mot. Les souvenirs du premier empire sont encore vivans dans les esprits. Nos côtes étroitement bloquées de Cadix à Anvers, de Gibraltar à Naples, sans cesse menacées du débarquement d’une armée d’invasion, comme celle qui, jetée soudainement à Walcheren, inspira de si justes craintes à l’empereur, alors engagé avec toutes ses forces au cœur de l’Autriche, — les escadres anglaises promenant seules sur l’Océan leur pavillon victorieux et balayant devant elles ce qu’un de nos amiraux appelait si justement « de la poussière navale, » c’est-à-dire nos corsaires intrépides, nos croiseurs isolés, prisonniers désignés d’avance pour les pontons de Plymouth et de Southampton, — nos colonies, séparées du monde entier, abandonnées à elles-mêmes, sans secours possible, tombant l’une après l’autre sous des attaques répétées, et destinées plus tard à payer la rançon de la paix, — enfin comme résultat d’un tel état de choses, l’Angleterre monopolisant le commerce du monde, jetant les bases de sa puissance actuelle, de sa prospérité sans égale, — telles furent à cette époque les conséquences de nos défaites à Aboukir et à Trafalgar. L’application de la vapeur comme force motrice des navires de guerre, — celle de l’hélice comme propulseur, — la création des chemins de fer, reliant en un tout compacte les provinces les plus éloignées d’un même pays, les progrès incessans de la mécanique, ceux de l’artillerie, les perfectionnemens que chaque jour apporte à l’emploi des torpilles, en bouleversant les conditions normales de la guerre maritime, en ont complètement aussi modifié les résultats. Ces résultats, si décisifs autrefois, seraient si amoindris que peut-être se réduiraient-ils à une gloire stérile, achetée au prix d’énormes dépenses et par l’effusion du sang le plus précieux.

Que le blocus strict, effectif de tous les points d’un littoral aussi étendu que celui de la France par exemple, soit désormais impossible, — que toujours des croiseurs à marche supérieure, commandés par des capitaines véritablement hommes de mer, puissent franchir les lignes de blocus les plus resserrées, et en mer libre défier toute poursuite, c’est ce que les incidens des dernières guerres maritimes ont mis en pleine lumière, sans qu’il soit besoin d’entrer dans des considérations techniques. Les souvenirs de l’Alabama et de tous les blockade-runners qui pendant la longue durée de la guerre de la sécession américaine se sont joués de l’active surveil-