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« En cas de guerre avec une nation maritime, écrivait en 1868 le secrétaire de l’amirauté américaine {secretary of the navy) dans son rapport annuel, nos combats seront à la mer et non sur terre. Aucune nation européenne ne peut transporter sur nos rivages une force assez considérable pour être une menace pour nous ; mais, cela fût-il tenté, la flotte ennemie rencontrerait sur l’Océan nos propres navires, qui suffiraient pour l’arrêter, si notre puissance navale est maintenue sur le pied convenable et tel que l’exige la prudence. » En 1869, précisant davantage, il ajoutait : « En cas d’une guerre maritime, nos croiseurs seraient sacrifiés sans utilité ou obligés de chercher leur salut dans le port et d’abandonner la mer, laissant nos navires marchands exposés à toutes les chances de la guerre sans autre protection que celle de nos côtes et de nos monitors. En conséquence, je propose avec instance la construction de croiseurs blindés capables de faire de longues croisières, de protéger notre commerce et d’assurer le triomphe de notre politique. » Ces recommandations pressantes restèrent sans effet, bien que l’illustre amiral Porter, un des héros de la guerre de la sécession, les appuyât de toute son autorité. « Si la guerre venait à nous être imposée, écrivait-il en 1870 alors qu’apparaissaient les graves perspectives de la question de l’Alabama, il est triste pour ceux qui auraient à y prendre part d’en contempler les résultats probables ; mais, quelque humiliant qu’il soit d’être obligé d’avouer notre faiblesse, mieux vaut encore certainement le faire aujourd’hui que le jour où il serait trop tard, et lorsque nous aurions subi les plus grands et les plus irréparables désastres. » Aujourd’hui, comme en 1870, la constitution de la marine militaire des États-Unis pourrait justifier les mêmes défiances et les mêmes plaintes. Tous les navires qui composent ses stations navales sont des navires sans cuirasse ; seuls quelques monitors incapables de s’éloigner des côtes, impuissans à lutter contre les cuirassés de haut-bord de France et d’Angleterre, font exception dans cette marine. C’est pourtant dans de pareilles conditions que le cabinet de Washington aborda sans hésitation et poursuivit avec une calme et énergique persévérance la solution du différend relatif à l’Alabama, solution si grosse de menaces de guerre avec la plus puissante des nations maritimes. Peut-on voir dès lors dans le système mis en pratique par ce gouvernement, dans la composition normale de la flotte nationale, autre chose que le résultat d’idées longuement méditées, la conséquence de principes fixes adoptés après de mûres réflexions ? La justesse de ces idées, la vérité de ces principes, ont reçu leur sanction du temps et des événemens accomplis.

À l’époque de la marine à voile, époque si rapprochée de nous