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Paris comme dans toutes nos armées de province, leur élan, leur courage, leur discipline, n’ont pas peu contribué à fortifier la haute idée que l’on s’est faite de la supériorité de notre marine, et certes nulle confiance ne serait mieux méritée, si l’élan, le courage, la discipline, étaient sur mer les seuls gages de la victoire, si le temps n’avait marché, bouleversant toutes les conditions économiques et pratiques de la guerre maritime comme de la puissance navale des nations européennes.

D’autres causes d’un autre ordre ont concouru d’ailleurs à inspirer cette sécurité, peut-être dangereuse, aux esprits, si peu nombreux parmi nous, qui se préoccupent de ces questions. Un écrivain éminent et certes des plus autorisés, l’amiral Jurien de La Gravière, exposait ici même[1], au lendemain de la guerre de 1870, ce qu’il considérait comme les « institutions nécessaires » qu’il fallait sauver pour sauver la marine : c’était d’abord l’inscription maritime, ensuite l’ensemble de nos écoles de spécialités, enfin l’escadre d’évolution. Ces institutions ont été sauvées, la marine est donc intacte aux yeux de ceux qui ne peuvent que de loin en suivre les transformations incessantes. Il y a plus. « À moins que la fortune ne nous donne l’Angleterre pour ennemie, ajoutait le même écrivain, nous devons nous proposer de faire sur mer la grande guerre. Contre l’Angleterre elle-même, ce genre d’opérations nous serait commandé le jour où de nouvelles complications viendraient modifier nos alliances. Je me place toujours sur ce terrain quand je veux étudier un plan de conservation pour notre flotte. » L’opinion publique est d’autant mieux fondée à compter sur notre marine que ces conseils venus de haut expriment et résument les principes qui continuent à régler notre établissement naval, que rien en apparence n’a été changé dans l’objectif de notre puissance maritime, et que dès lors cette puissance semble aujourd’hui, comme en 1861, sinon pouvoir rivaliser avec celle de l’Angleterre, du moins n’avoir pas à compter avec les marines secondaires. Si le respect envers les personnes avec lesquelles on diffère d’opinion s’affirme surtout par la libre défense de ce qu’on croit la vérité, il nous sera permis de discuter la justesse de ces assertions : ni le maintien des institutions que l’amiral appelle nécessaires ne peut suffire à sauver notre marine, ni le terrain où il se place n’est celui de la réalité, — non-seulement de la réalité de notre situation telle qu’elle ressort inexorablement de nos désastres, mais de la réalité créée par la raison même des choses de la mer, telle que l’établissent les inventions et les transformations récentes.

  1. Voyez la Revue du 15 août 1871.