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quelque peu sous le sceptre de son gendre Aladdin Maghajat, prince pacifique et pieux, mais qui ne régna qu’un an. Après lui s’ouvre une nouvelle et singulière période de l’histoire d’Atchin. Pendant soixante ans, l’empire atchinois n’a plus de sultan, il est gouverné par des femmes. Ce phénomène, des plus bizarres en pays musulman, a beaucoup intrigué les historiens. M. Veth en propose une explication très plausible. Tout fait supposer en effet que depuis l’adoption de l’islam par le peuple d’Atchin deux partis, politiques à la fois et religieux, se disputèrent la suprématie, le parti national, qui, tout en professant l’islam, cherchait à conserver certains usages indigènes, et le parti dit arabe, qui voulait les supprimer au nom de l’orthodoxie musulmane. En général, les sultans, ceux surtout qui se piquaient de gouverner avec énergie, favorisaient la tendance arabe ou strictement musulmane, parce que l’islam sanctionnait leurs prétentions absolutistes. Au contraire les panglimas, l’aristocratie locale, jaloux de leurs anciens privilèges et de leur autonomie, étaient par cela même intéressés à soutenir le parti national. On peut donc penser que la série de sultanes qui règnent de 1637 à la fin du XVIIe siècle eut pour principale cause un calcul politique des panglimas. Ils n’étaient pas fâchés de faire brèche sur ce point important à la rigueur du code musulman, et ils se sentaient plus à l’aise sous un sceptre tenu par des mains féminines qu’en face des redoutables sultans, qui ne toléraient aucun partage d’autorité, dont il était si facile et si dangereux de s’attirer la colère.

L’histoire d’Atchin, pendant cette période des sultanes, n’offre qu’un très médiocre intérêt. Les sultanes ou plutôt leurs conseillers se démènent de leur mieux au travers des intrigues et des instances suspectes des puissances maritimes européennes, qui cherchent à l’envi à s’assurer le monopole du poivre, et voudraient toujours prendre pied sur le territoire atchinois. Un instant, la compagnie des Indes hollandaises réussit à obtenir le monopole tant convoité, mais les clauses du traité furent continuellement violées. L’histoire de tous ces démêlés est monotone, pour ne pas dire ennuyeuse. Ruses et souvent perfidies du côté atchinois, exigences souvent déraisonnables du côté européen, tel en est le résumé. Seulement les pirateries et les assassinats de détail restent à la charge des Atchinois. Atchin fut même bloqué par une flotte hollandaise en raison du meurtre de quelques Hollandais qui avaient monopolisé le commerce de l’étain sur la côte orientale. La leçon fut quelque temps efficace, mais depuis lors la Néerlande passa au rang d’ennemi permanent, héréditaire. Les Portugais étaient très affaiblis, les Anglais très occupés dans l’Hindoustan, Java et Malacca étaient aux Hollandais. L’importance de leurs établissemens à Sumatra, le succès avec lequel ils attiraient dans l’orbe de leur protectorat