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ni la vanité de personne. » Ces sentimens étaient ceux de toute l’aristocratie de Rome, élevée dans l’admiration des poètes et des philosophes grecs, et qui voulait rendre aux descendans ce qu’elle devait à leurs aïeux. Aussi laissa-t-on la Grèce vivre à sa façon. On affectait même, quand on l’habitait, de se conformer à ses usages, et les Romains qui sont demeurés longtemps chez elle, comme Hérode-Atticus, ont tous fini par devenir des Grecs véritables. Elle, de son côté, se montra toujours soumise, empressée envers ses maîtres; mais sa complaisance pour eux n’alla jamais jusqu’à leur sacrifier ses mœurs et sa langue. Malgré cette attitude humble qui nous déplaît, elle sut en somme conserver son génie propre et résista mieux à l’influence romaine que les plus fiers et les plus braves.

Les provinces situées au nord de la Grèce, entre l’Italie, le Rhin et la Mer-Noire, sont bien plus intéressantes à étudier pour nous que les autres. Il y en avait six, la Mœsie, la Dacie, la Pannonie, la Dalmatie, la Norique et la Rœtie, qui occupaient l’immense territoire que remplissent aujourd’hui les provinces danubiennes, l’Autriche, la Hongrie, la Suisse et la Bavière. Toutes sont des conquêtes de l’empire. Ce n’est pas que l’empire romain ait été d’une humeur aussi conquérante que la république. Auguste avait donné le conseil à ses successeurs de ne pas agrandir ses états, qu’il trouvait déjà trop vastes, et en général ils furent fidèles à sa politique. S’ils s’en sont écartés quelquefois, c’était par nécessité et pour rendre leurs frontières plus sûres. La guerre des Cimbres avait montré combien l’Italie était facilement accessible aux invasions du nord; depuis on n’est occupé qu’à la mettre à l’abri d’un coup de main. César avait conquis la Gaule et reculé les frontières romaines jusqu’au Rhin ; ses successeurs y ajoutèrent les pays du Danube : derrière cette ceinture de peuples, de places fortes et d’armées, Rome pouvait respirer en paix. La dernière de ces conquêtes fut celle de la Dacie ; ce fut aussi le dernier effort de l’empire pour sortir de ses anciennes limites et prendre pied dans les pays barbares. La Dacie fut conquise par Trajan sur le roi Décébale, et, comme elle était dépeuplée par les guerres acharnées qu’elle avait soutenues contre les Romains, il y appela des habitans de toutes les contrées de l’empire. Il y vint notamment des Galates, qui sont reconnaissables encore, dans les inscriptions, au soin pieux qu’ils prennent de prier les dieux de leur pays. Les colons nouveaux apportèrent avec eux dans ce désert les usages et la civilisation de l’ancien monde. C’est ainsi que la Dacie est devenue tout d’un coup romaine : nous voyons que du temps d’Antonin on était déjà occupé à y réparer des amphithéâtres qui avaient sans doute été construits au lendemain même de la conquête. Cependant la vie n’était pas sans danger dans