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riche et bien gouverné. Tous les documens sont d’accord pour l’établir, et les lettres de Pline confirment sur ce point les témoignages des inscriptions. Elles ont encore pour nous cet avantage, de nous montrer de quelle ardeur infatigable certains empereurs étaient animés pour la bonne administration de leurs provinces. Rien n’échappe à Trajan : il se fait informer de tout; les affaires des moindres villes l’intéressent. Il veut connaître leurs besoins, il s’enquiert de l’état de leurs finances, il se fait rendre compte de toutes les réclamations, et va jusqu’à lire les mémoires que les plaideurs lui envoient. Les gouverneurs l’interrogent sur les questions même les moins importantes, et il décide tout avec une sagesse et une promptitude qui font notre admiration. Il n’est pas douteux que les provinciaux se soient bien trouvés de cette vigilance du maître ; on peut même soupçonner qu’ils en ont été trop satisfaits. Une fois qu’ils eurent goûté les fruits heureux de cette intervention des empereurs dans leurs affaires, ils ne voulurent plus s’en passer. Les villes libres ou municipales, qui jusqu’au second siècle se gouvernaient elles-mêmes, n’avaient pas été toujours bien administrées. Il leur était arrivé souvent de ne pas choisir pour magistrats les plus intelligens et les plus honnêtes; les revenus y étaient parfois dépensés sans profit ou scandaleusement dilapidés. Quand leur fortune se trouvait trop embarrassée, elles sollicitaient l’ingérence du pouvoir central dans leurs affaires, et le représentant qu’il envoyait pour y remettre de l’ordre était toujours bien accueilli. Ainsi naquit, plutôt par la volonté des sujets que par l’ambition du maître, cette centralisation effrayante que le code théodosien nous dépeint sous de si tristes couleurs : elle a fini par perdre l’empire; mais, tant qu’elle s’est contenue dans de sages limites, et quand le pouvoir était aux mains d’un Trajan ou d’un Marc-Aurèle, elle en a fait la prospérité.


III.

Il nous faut traverser rapidement la Grèce, quelque charme qu’on éprouve à s’y arrêter. Sous la domination romaine, elle fut toujours traitée avec une grande douceur. « Songez, écrivait Pline à un proconsul d’Achaïe, que vous allez gouverner des hommes qui méritent plus que les autres le nom d’hommes, des peuples libres, plus dignes que personne de la liberté... Rendez un culte aux dieux fondateurs de leurs cités, respectez leur ancienne gloire et cette vieillesse qui, vénérable chez les hommes, dans les villes doit être sacrée. Honorez l’antiquité et les grands souvenirs, ayez des égards pour les mensonges même. Ne blessez jamais la dignité, la liberté.