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parcimonie dégénérant souvent en avarice, l’ignorance de la loi, la crainte d’être lésés, l’indolence, bien d’autres motifs concourent à les détourner d’une opération coûteuse. Dans beaucoup de départemens, où la terre est morcelée pour ainsi dire à l’infini, le bornage des champs est exceptionnel, l’incertitude des limites paraît être l’état normal de la propriété. Aussi quelle multitude de contestations ce fâcheux état de choses fait naître en France ! Dans une seule année, en 1869, plus de 12,600 actions possessoires ont été déférées aux juges de paix, et des centaines portées en appel devant les tribunaux civils. A quelles sommes ne doivent pas se monter les frais de ces nombreux litiges ! Les rédacteurs du Recueil méthodique en estimaient le chiffre deux ou trois fois plus fort que celui des centimes imposés pour la confection du cadastre ; cette estimation fût-elle exagérée, il n’en demeure pas moins incontestable que la terre dépense chaque année des sommes importantes en frais judiciaires. On ne saurait imaginer jusqu’où peut aller dans certains cas l’entêtement des parties. « J’ai vu, disait M. Bonjean au sénat en 1866, des procès dont les frais, pour une parcelle de 500 francs, se montent à plus de 3,000 francs. »

Insuffisamment protégée dans ses limites, la propriété foncière souffre d’un mal plus grave peut-être : les transactions dont elle est l’objet reposent sur des actes trop souvent incomplets, irréguliers dans la forme, n’offrant pas au crédit agricole les garanties qu’il réclame. Attirés déjà par les placemens si lucratifs de l’industrie, les capitaux se détournent de la terre ; elle ne leur offre qu’un intérêt modique, et ne pourrait les retenir que par l’appât d’un gage certain, d’une solidité indiscutable. Malheureusement la valeur de ce gage est presque toujours difficile à fixer, bien souvent elle est susceptible de contestations.

Le Crédit foncier, cet établissement sur lequel on avait fondé de si grandes espérances, est depuis vingt ans sans cesse attaqué. On lui reproche de ne pas remplir sa mission. On n’a pas craint d’affirmer qu’il va contre son but, que, loin de répandre le crédit dans les campagnes, il absorbe les épargnes du cultivateur pour commanditer des entreprises n’ayant rien d’agricole. Certains faits sembleraient justifier ces critiques, et cependant, on ne peut le méconnaître, le Crédit foncier n’a rien négligé pour se créer parmi les agriculteurs une vaste clientèle. Dans une certaine mesure, il y est parvenu, et, s’il ne peut toujours accueillir les sollicitations de l’agriculture, on ne saurait l’accuser de mauvais vouloir. Dès 1854, M. Wolowski, directeur de cet établissement, insistait devant l’assemblée des actionnaires sur les difficultés auxquelles on s’était heurté dès les premiers pas. « C’est, disait-il, un fait à la fois important et triste à constater. La majeure partie des immeubles situés dans les