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par l’action de l’homme, du régime ou des conditions atmosphériques ; Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, qui s’exagérait beaucoup l’importance des modifications subies par les races soumises à l’esclavage, prouve clairement néanmoins « qu’il n’est aucun de nos dix-sept oiseaux domestiques dont l’origine zoologique ne puisse être exactement déterminée. »

Dans l’état de domesticité, les mammifères éprouvent des modifications comparables à celles des oiseaux, — fort médiocres lorsque les animaux ne sont pas privés d’exercice, très notables au contraire lorsqu’ils subissent une captivité rigoureuse. Emprisonné dans une misérable cage dès la naissance, le lapin offrira donc selon toute probabilité les plus grandes anomalies. Si l’on en avait douté, l’étude intéressante de M. Darwin ne laisserait plus d’incertitude[1]. Pourtant ce naturaliste évite de parler des affections des os, si fréquentes parmi les habitans des clapiers. A l’état sauvage, le lapin abonde dans notre pays ; rien de plus simple à contrôler que les effets de la servitude et de la sélection. La couleur change ; apparaissent le noir et le blanc, premiers signes de la dégénérescence. Chez l’animal n’ayant pas la liberté des mouvemens et toujours repu, le corps augmente de volume. Par la sélection, on obtient des races, mais, pour les conserver, des épurations continuelles sont indispensables ; la tendance vers un retour au type primitif manque rarement de s’accuser au milieu d’une famille. Comme exemple de coloration remarquable transmise par voie d’hérédité, on cite la race himalayenne : de jolies petites bêtes blanches avec le museau, les oreilles, les pattes et la partie supérieure de la queue d’un brun noir. Comme exemple de race bizarre, on montre des lapins à oreilles pendantes qui dénotent à un haut degré les signes d’une monstruosité ; — des muscles affaiblis cessent d’agir. Un zoologiste ne se méprendra jamais sur le caractère d’une telle anomalie. Le lapin domestique fournit une preuve de l’impossibilité de dénaturer une espèce ; l’indépendance ne le met en aucun embarras, très vite il reprend les habitudes et la physionomie des individus sauvages. Abandonnés sur des terres lointaines, des lapins se sont multipliés : sur les îles Malouines, à Porto-Santo, l’une des Canaries, et en d’autres lieux ; on croit pouvoir les distinguer des nôtres tout juste par une nuance dans la teinte du poil. A Porto-Santo, les lapins ont pris sur le dos et la queue une couleur rousse : les oreilles manquent de la bordure foncée, ordinaire parmi les lapins d’Europe. Plusieurs de ces animaux, dit M. Darwin, furent apportés au Jardin zoologique de Londres ; quelques années après, la fourrure ne différait plus de celle des individus des garennes

  1. The Variation of animals and plants under domestication.