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l’Europe presque entière, le nord de l’Afrique, l’Asie-Mineure, la Sibérie, la Chine, le Népaul, et l’entomologiste le plus exercé ne parviendrait pas à distinguer l’individu pris à Cachemire de celui de France. Notre flambé ou papilio podalirius, également très cosmopolite, mais qui n’existe pas au centre de l’Asie, paraît être légèrement affecté par le climat ; on reconnaît les individus d’Andalousie et d’Afrique à des particularités de la coloration des ailes. Dans l’Europe centrale et dans l’Amérique du Nord vit la belle vanesse si connue des jeunes amateurs sous le nom de morio ; européen ou américain, c’est bien le même insecte. Un très petit lépidoptère dont la chenille mange les graines du baguenaudier n’est pas rare en Europe, et nous le retrouvons tout pareil dans les plus chaudes régions de l’Inde et de l’Afrique[1]. La liste de ces espèces qui vivent dans les milieux les plus dissemblables sans éprouver de changement serait longue. Que faut-il donc pour modifier ces êtres si frêles ? Longtemps M. Darwin négligera de le dire. Certes beaucoup d’insectes varient principalement sous le rapport de la taille et de la couleur ; plusieurs lépidoptères ayant une aire géographique fort large sont un peu plus grands et de teintes un peu plus riches au Japon et sur le continent asiatique qu’en Europe. Un papillon très répandu dans l’Inde et dans l’archipel de la Malaisie[2] a les contours et les dessins des ailes infiniment variables. Aux mêmes lieux voltigent des individus qui frappent par la dissemblance, mais, jeunes, ils étaient pareils. Une observation a suffi pour apprendre qu’on ne devait pas se fier à la couleur. Ainsi des espèces gardent sous tous les climats une étonnante uniformité, d’autres se montrent très légèrement affectées par la différence des milieux, d’autres encore n’ont pas besoin de quitter une patrie pour revêtir des aspects multiples.

Des conditions fâcheuses amènent chez les êtres capables de les supporter la diminution de la taille. De même que parmi les hommes, il y a des nains parmi les animaux et les plantes. Représentans amoindris d’un type, ils en conservent les caractères essentiels. Un simple changement de régime rendrait à ces nains ou à leur descendance les proportions normales. Des mollusques marins condamnés à vivre dans l’eau saumâtre restent chétifs. Des escargots de la plaine se retrouvent sur les Alpes ; la végétation de la montagne les nourrit mal, ils sont tout petits. Ayant moins que les animaux une individualité déterminée, les plantes varient davantage et subissent plus manifestement l’influence des agens extérieurs. L’étude sera plus longue ; elle n’en aura pas moins pour dernier

  1. Lycœna bœtica.
  2. Papilio pammon.