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signes d’une modification dans les caractères essentiels de l’espèce. Les autres variations sont également très superficielles. Le poil des mammifères est plus ou moins touffu ; personne ne juge que l’animal change de nature parce qu’il est mieux vêtu l’hiver que l’été ou dans la jeunesse que dans la vieillesse. Des parties secondaires qui se répètent avec une sorte d’uniformité varient dans une certaine mesure ; le nombre des rayons des nageoires chez les poissons n’est pas constant, moins encore celui des écailles ; sous ce rapport, on reconnaît, que des différences existent presque toujours entre les individus provenant de la même ponte et qu’elles ne se fixent en aucune manière par voie d’hérédité. Les stries, les cannelures, les ponctuations, les sculptures, qui ornent le corselet et les élytres chez une infinité d’insectes peuvent être plus ou moins prononcées ; on a par mille observations l’assurance que ces détails décoratifs ne coïncident avec aucun changement appréciable dans l’organisme. Que M. Darwin s’inquiète des légères particularités individuelles que les anatomistes constatent à l’égard des dents, des muscles, des artères ou des veines, soit chez l’homme, soit chez les animaux, c’est vraiment trop de bonne volonté pour découvrir des indices de la mutabilité des êtres[1]. Entre deux coups de cognée, le pauvre bûcheron lui-même affirmerait qu’en accumulant les millions de feuilles des chênes de la forêt, on ne parviendrait point à en trouver deux exactement semblables. Tout dans la nature en effet nous montre l’existence de formes nettement définies, sans possibilité de rencontrer nulle part l’identité absolue.

La dissémination des êtres s’est opérée dans le monde d’une façon fort inégale. Telle espèce demeure confinée dans une petite région, telle autre existe sur d’immenses étendues ; — pareille diversité est faite pour instruire. Vient-on à explorer un pays d’un accès difficile, où l’état primitif n’a point été troublé, les espèces végétales et animales qu’on observe ne sont pas la plupart celles des contrées voisines. Des exemples de ce genre semblent attester que les naturalistes ont raison de distinguer des centres ou des foyers de création. Par des causes diverses, la distribution des plantes et des animaux s’est modifiée sur la terre. A la faveur de la configuration du sol et des courans de l’atmosphère, se sont rapprochés des êtres qui à l’origine vivaient éloignés les uns des autres. Les travaux de l’homme ont beaucoup contribué à la dissémination de certaines espèces. Nous avons un jour indiqué ce résultat en signalant le curieux caractère de la flore et de la faune du Thibet oriental que le père Armand David fit connaître, il y a peu d’années[2]. Avec le progrès de

  1. The Descent of Man, t. Ier.
  2. Voyez les Récentes explorations de la Chine, dans la Revue du 15 juin 1871.