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avec bonheur les incertitudes des naturalistes au sujet des caractères de bon nombre de plantes et d’animaux ; ils rappellent avec joie les fautes commises ; ils insistent sur les variations individuelles et supposent que ces variations doivent être sans limites. On sera fixé sur tous les points, si l’on considère un instant la marche de la science, et si l’on arrête l’esprit sur les faits le mieux constatés.

Les erreurs se produisent et les incertitudes subsistent lorsque le savoir est très borné, elles disparaissent dès que l’observation et l’expérience ont été suffisantes. L’étude des distinctions d’espèces n’est pas toujours facile. Parfois le mâle et la femelle présentent d’étranges contrastes ; au premier abord, on sépare ceux que la nature rapproche, dans le monde des oiseaux et des papillons, chacun le sait, il y en a de nombreux exemples. Souvent aussi les enfans du même père et de la même mère sont loin d’être pareils ; on prend des frères et des cousins pour des étrangers. Par suite de l’influence du climat ou de la nourriture, des espèces disséminées sur de vastes étendues se sont légèrement modifiées sous le rapport de la taille, de la couleur, de l’aspect ; en voyant quelques individus tirés de pays éloignés, on méconnaît leur intime parenté. De telles fautes sont inévitables au début des recherches. Dépourvu des moyens d’information nécessaires, l’observateur le plus attentif, doué de l’esprit le plus pénétrant, demeure incertain ou tombe dans l’erreur. Aux difficultés naturelles du sujet s’ajoute le trouble provenant de l’inhabilité ou du défaut d’application d’une foule d’investigateurs. Le travail est libre, et partout les bons ouvriers sont rares. N’est-ce pas d’ailleurs la règle générale que la vérité ne se dégage qu’après avoir été longtemps voilée ?

Au siècle dernier et même au commencement de notre siècle, les beaux oiseaux et les magnifiques insectes recueillis dans les contrées lointaines excitaient à la fois surprise et admiration. Au plus vite, des amateurs traçaient la description des brillans animaux et attribuaient des noms aux espèces. L’opération ne coûtait pas de longues peines ; les mâles, les femelles, les jeunes sujets distingués par les couleurs étaient comptés comme autant d’espèces. A l’examen superficiel, succéda l’étude ; peu à peu, on apprit à connaître dans chaque groupe du règne animal les signes particuliers de l’un et de l’autre sexe ; on fut avisé par des voyageurs que des individus fort dissemblables avaient été rencontrés en état de mariage ; les fautes des premiers naturalistes étaient effacées. De nos jours, les méprises occasionnées par les différences sexuelles sont devenues rares. Les variations individuelles peuvent encore être la source de fréquentes erreurs ; mais, après avoir considéré de quelle façon la lumière s’est faite à l’égard d’une foule de plantes et d’animaux, on acquiert la certitude que toute obscurité finira par se dissiper.