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pour les filles du clergé comme pour les autres, le monastère n’est qu’une retraite ; pour les fils de popes, c’est une carrière. En tenant compte de cette différence, on voit qu’en Russie, comme partout de nos jours, c’est sur les femmes que le cloître exerce le plus d’attraction. Dans les couvens de femmes comme dans ceux d’hommes, la Russie compte peu de maisons entièrement occupées du soin des pauvres, des malades, des vieillards, des enfans. Cet admirable essor de la charité, qui dans l’église catholique, en France particulièrement, a rajeuni la profession religieuse et l’a sous tant de formes adaptée à toutes les misères humaines, ce mouvement de fraternité chrétienne, qui est une des plus pures gloires de notre siècle et de notre pays, n’a encore qu’effleuré l’église orthodoxe de Russie. Déjà cependant se manifeste chez elle une sorte de pieuse contagion. Les religieuses se sont toujours dans leur intérieur occupées d’œuvres de charité. En outre il y a déjà des sœurs vouées au soin des malades et des pauvres ; en général, elles ne sont pas regardées comme des religieuses, ce titre étant réservé aux femmes qui mènent l’ancienne vie monastique. Il s’est même formé quelques congrégations charitables spéciales, par exemple les sœurs de Johann Illinsky à Moscou. Comme tout en Russie doit commencer avec un but patriotique et national et sous la protection du pouvoir, ces sœurs, placées sous le patronage de l’impératrice, ont été instituées pour soigner les blessés militaires, et en temps de paix les malades des hôpitaux. Ce mouvement charitable pourra s’étendre, et, pour les femmes au moins, renouveler en partie la vie religieuse. Les lois ou les habitudes et la réglementation bureaucratique de l’église ne peuvent laisser à la charité chrétienne la même spontanéité, la même latitude, partant la même variété et la même fécondité qu’en Occident. En cela comme en toutes choses, rien d’important ne peut se faire en Russie sans l’initiative de l’autorité laïque et ecclésiastique. Avec elle cependant beaucoup de bien se pourrait faire, d’autant plus que, par ses penchans affectueux, aucun peuple n’est plus que le peuple russe naturellement propre aux œuvres secourables. Quant à la part qu’en d’autres contrées les couvens ont récemment prise à l’enseignement, il est douteux que les pays catholiques trouvent de longtemps de ce côté des imitateurs en Russie. Le gouvernement encourage la fondation d’écoles dans les monastères, il est peu disposé à laisser s’établir des congrégations d’hommes ou de femmes pouvant donner à la nation une éducation animée d’un esprit particulier.