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désastre de Rosbach : « Je me suis éveillée à sept heures pour t’écrire, mon cher ; tu sauras, avant de recevoir ma lettre, la bataille de M. de Soubise, et la honte dont nos soldats s’y sont comportés ; cela fait une mauvaise nouvelle, et qui fait tenir de bien mauvais propos ici, parce qu’on y joint de la personnalité surtout ; c’est pourtant le premier échec fâcheux de cette guerre que nous ayons eu. Ce qu’il y a d’affreux, c’est que depuis la première nouvelle nous n’en avons point eu de cette armée… Le roi est admirable ; il a été fâché comme il devait l’être, mais nulle altération de crainte n’a paru dans son air ; pour toutes les femmes de la cour, (elles) seraient à faire rire, si on le pouvait (Versailles, 15 novembre 1757). » Après Soubise, Richelieu : « Notre retraite est affreuse, nos affaires sont dans le plus mauvais état ; la honte est entière. M. de Richelieu, en six mois, a perdu une des plus belles armées et déshonoré toute la nation ; il crie justification sur les voleries ; il prétend prouver son équité. Je trouve bien humiliant d’en être-là. Pourquoi a-t-il donc laissé voler ? Tout cela ne répare rien. Aussi cela n’occupe que les caillettes de la cour et de la ville ; le peuple le déteste. Il faut se soumettre, tâcher de tirer le meilleur parti pour le présent et pour l’avenir, quoique reculé ; ce serait au moins pour nos enfans. »

Ses enfans ! elle n’a pas une pensée qui ne soit à eux. Elle ne s’occupe pas seulement de chercher une gouvernante française pour sa fille cadette, elle trouve un précepteur pour son fils. C’est à l’abbé de Condillac qu’elle confie l’éducation du prince de Parme. Naturellement ce n’est pas parce qu’il avait publié l’Essai sur l’origine des connaissances humaines ou le Traité des sensations, mais quoiqu’il eût écrit tel « livre un peu métaphysique, » que l’abbé fut agréé. La chose fit scandale. « Nous n’aurons, je crois, mande-t-elle en mars 1758, nous n’aurons rien à nous reprocher sur ce choix ni en ce monde ni en l’autre ; mais il faut que je te prévienne que les jésuites ont été abasourdis de perdre encore chez nous. Ils n’ont pu d’abord se plaindre, le choix étant loué aussi généralement, mais enfin ils commencent tout bas à parler de ce livre. Notre fils doit être bon catholique et non pas docteur de l’église ; toutes les controverses lui seraient inutiles à étudier. » Il faut savoir que l’infante, bonne catholique sans doute, ne fut point ultramontaine comme on l’était dans sa famille. Elle ne se gêne pas à l’occasion pour dire son fait à la « prêtraille. »

Elle songeait toujours au mariage de sa fille Isabelle avec un archiduc ; il était temps qu’elle parût à Versailles. « Notre mariage va mal, écrit l’infante le 19 septembre 1757 ; il y a de plus anciens engagemens ; Stainville les rompra, s’il est possible, mais la fidélité de notre alliée me fait trembler là-dessus. » Cette alliée est