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couronne, conservés aux Archives nationales[1]. Après avoir examiné avec soin les états des maisons de Mesdames, relevé les chiffres des sommes payées aux officiers, aux chapelains, aux dames, à la bouche, aux écuries, etc., on sera moins enclin à taxer d’exagération un témoin aussi vrai, aussi bien informé que le duc de Luynes.

Les cinq princesses passèrent ensemble l’année de 1751. Dès le commencement de février de l’année suivante, Henriette tomba malade, ou du moins n’eut plus la force de cacher le mal qui depuis longtemps la minait. Il parait que l’infante lui avait laissé quelque onguent pour faire passer les dartres auxquelles étaient sujettes les deux sœurs jumelles : la drogue aurait pénétré dans le sang, empoisonné la princesse. Ce qui est certain, c’est que les plus célèbres médecins, Dumoulin, Falconnet, Senac, Quesnay, la déclarèrent atteinte d’une fièvre putride. Saignées redoublées, émétique, rien n’y fit ; Henriette n’avait aucune illusion sur son état ; elle demanda son confesseur, le père Perusseau. Le jeudi 10 février au matin, l’agonie commença. Le roi regardait mourir sa fille bien-aimée ; le jésuite continuait ses exhortations et ses prières de la dernière heure. Soudain une idée lui traversa l’esprit comme un éclair : il s’écria que la suppression de l’Encyclopédie serait sans doute un moyen d’obtenir la grâce divine. La princesse râlait misérablement. Louis XV, qui pensait d’ailleurs comme le père sur le Léviathan philosophique, accorda tout. Vers midi, Henriette expira. La cour partit pour Trianon, sur l’ordre de la dauphine, qui avait demandé au roi où il voulait aller. « On n’a qu’à me mener où l’on voudra, » avait-il répondu.

Cependant au palais de Versailles on songeait à transporter à Paris le cadavre de la princesse. Il se trouva qu’on était au jeudi gras, et, bien que Madame ne fût ni roi, ni héritier présomptif, ordre fut donné d’arrêter tous les spectacles de Paris, même ceux de la foire, et de fermer le bal de l’Opéra. A une heure après minuit, elle fut mise sur un matelas, dans des draps, et des gardes du corps la descendirent dans un grand carrosse. On la plaça au fond sur son séant ; un suspensoir passant sous ses aisselles la tenait en équilibre, l’empêchait de ballotter. Elle était en manteau de lit, coiffée en négligé et avec du rouge. Deux femmes de chambre, assises sur le devant du carrosse, lui faisaient face ; ses dames l’accompagnaient dans un carrosse de suite. On arriva aux Tuileries. Le mardi gras, elle fut exposée sur un lit de parade dans un petit appartement du rez-de-chaussée, tout tendu de blanc ainsi que la chapelle ardente, le vestibule et le devant de la porte qui s’ouvrait sur le Carrousel.

  1. Cotes 0 3740-3784 (surtout les cartons 3765-3784).