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forte femme au teint bruni. Avec une couronne et un manteau de reine ou d’impératrice, sur un trône, au milieu d’une cour fastueuse comme avait été celle de Louis XIV, son air eût paru noble, majestueux même : dans l’état de dénûment où elle était, avec sa suite d’Espagnols faméliques, l’ampleur un peu exubérante de ses formes lui donnait l’air commun. « Madame Infante était fort mal en habits et même en linge, » écrit le marquis d’Argenson. On renouvela sa garde-robe pour la première fois depuis son départ de France. Le roi s’empressa de lui faire une pension de 200,000 livres et la logea dans l’appartement de la comtesse de Toulouse, placé au-dessous du sien, avec lequel il communiquait par un escalier intérieur. Cet appartement, qui avait été autrefois celui de Mme de Montespan, pourrait fournir le sujet d’un long poème héroï-comique. Après avoir été au dernier siècle l’objet de luttes furieuses de la part des princesses et des favorites, il devait encore inspirer à M. Michelet le plus singulier roman qu’on puisse imaginer ; nous n’accorderons pas tant d’importance à un escalier.

La fille de Louis XV avait d’abord été fort bien accueillie en Espagne : tout Madrid célébra son air gracieux et sa bonne mine ; mais bientôt l’âpre soleil de la péninsule, le xérès, les alimens d’une saveur acre et brûlante, avaient fait reparaître, au bout de quelques mois de séjour, sur le corps et au visage de l’infante, ces pustules et ces gourmes dont on n’avait jamais pu la guérir à Versailles. « On nous a envoyé une galeuse, » répétait la belle-mère, la fameuse Elisabeth Farnèse. Son dépit, sa mauvaise humeur contre le cardinal Fleury, qui semblait ne se point souvenir de toutes ses promesses, lui faisaient tenir ces discours. La politique plus encore que la nature fut donc cause de la précoce disgrâce de l’infante. Au moins il ne paraît pas qu’elle ait déplu à son jeune époux, joli garçon de vingt ans, âme molle et vulgaire, qu’elle ne traita jamais qu’en enfant. Un coup d’œil lui suffit pour deviner la médiocrité et la suffisance de don Philippe ; elle apprendra avec indifférence que ce jouvenceau a les vices d’un Italien ; elle le saura lâche, et n’en éprouvera point d’indignation ; elle le verrait s’avilir sans ressentir aucune pitié, s’il n’était le père de ses enfans. Don Philippe ne sera jamais son maître. Dès les derniers jours de 1741, lorsqu’il part pour l’Italie, elle met au monde une fille. Déjà, pour son enfant elle rêve un archiduc, elle qui n’a encore ni royaume ni principauté ! Ce rêve se réalisera, la petite-fille de Louis XV épousera un frère de Marie-Antoinette ; mais il faut que la France et l’Espagne aident l’infant à conquérir un trône. Pendant sept ans, de 1741 à 1748,100,000 hommes périrent, a écrit Lacretelle, pour que don Philippe régnât sur 2 ou 300,000. Il n’eut ni la Lombardie ni le Milanais : le traité d’Aix-la-Chapelle lui concéda un maigre établissement en Italie, « un trou, » disait