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anciennes ; il retrouve sous la civilisation d’hier, la seule qu’il connaisse, des civilisations accumulées, belles encore dans leur sommeil éternel. On devine ce que pouvait être une première visite en Europe pour un homme tel que Sumner, nourri de l’antiquité classique, ne connaissant encore que par les livres cette contrée que la Nouvelle-Angleterre regardera toujours comme une mère, véritable pèlerin de l’histoire, des grands souvenirs parlementaires, des lettres et des arts.

Il resta longtemps en Angleterre, et y contracta quelques amitiés qui lui furent toujours fidèles. Il assista fréquemment aux débats du parlement : les juges de Westminster l’accueillirent comme un confrère ; en Allemagne, il vit le prince Metternich, Humboldt, l’historien Ranke, le géographe Ritter, Savigny, Thibaut, Mittermaier, les grands jurisconsultes du jour. Pendant qu’il séjournait à Paris, en 1839, une querelle éclata entre l’Angleterre et les États-Unis au sujet des frontières canadiennes. Le général Cass pria Sumner d’écrire un mémoire sur la question ; ce court mémoire fut publié dans le Messager de Galignani, et le juge Story déclara que Sumner avait du coup épuisé la question en litige, qui fut peu après soumise à l’arbitrage du roi des Belges.

Revenu en Amérique, Sumner ne reprit point la profession d’avocat ; il se remit pourtant au travail et publia une édition américaine des Rapports de Vesey en vingt volumes, enrichie de notes très nombreuses. Le juge Story mourut sur ces entrefaites. Il avait toujours espéré que Sumner lui succéderait comme professeur à Cambridge, tout le monde s’unissait à ce vœu ; mais déjà la politique l’attirait, il ne voulait point emprisonner son ardeur entre les limites étroites d’une université. Il ne s’était laissé attirer jusque-là, pour ainsi dire, que par le travail du cabinet, par les études abstraites ; nous allons le voir entrer dans la lutte. Depuis longtemps, il cherchait un ennemi digne de lui ; il l’avait enfin trouvé, l’esclavage, ennemi qui semblait alors invincible, car il n’avait pas seulement avec lui tous les états du sud, le gouvernement de Washington, le sénat, la cour suprême ; il avait des alliés dans tous les états libres, et nulle part peut-être d’aussi fidèles ni d’aussi ardens que dans cette société riche et élégante de Boston, dont Sumner avait toujours respiré l’atmosphère ; il était l’enfant gâté de cette société polie, fermée, raffinée : ses amis abhorraient les abolitionistes et faisaient semblant de les mépriser. Garrison avait failli être égorgé dans les rues de Boston par une multitude où il n’y avait pas seulement des gens du peuple. Les apôtres de l’émancipation ne faisaient point à l’esclavage une guerre voilée, modérée, comme les prédicateurs à la mode ; c’étaient des trouble-fête : ils faisaient honte au