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été de laisser grandir l’équivoque, de compter sur le temps, sans doute aussi sur son habileté, pour concilier les dissidences, de s’obstiner à vouloir organiser les institutions qui avaient été promises avec ceux qui méconnaissaient ces engagemens, en rejetant au contraire dans l’opposition ceux qui ne demandaient pas mieux que d’accepter la situation telle qu’elle était. Pendant qu’il épuisait tous les ménagemens, les légitimistes attendaient le mot d’ordre de Frohsdorf, les bonapartistes allaient à Chislehurst, Qu’a gagné le ministère ? Les partis ont redoublé d’audace, convaincus qu’on ne pouvait se passer d’eux ; ils ont publiquement prévu le cas où le maréchal de Mac-Mahon, malgré ses sept ans de présidence, devrait s’effacer devant la royauté traditionnelle ou devant l’empire. Ils ont bruyamment défié, bravé le gouvernement, en lui donnant rendez-vous aux premiers jours de la session qui allait se rouvrir, si bien que l’heure est venue où le ministère, à bout de temporisation et de condescendances, ne pouvait aller plus loin sans trahir le pouvoir qu’il était chargé de représenter et de défendre. C’était pour lui une obligation de dignité de ne plus reculer devant la présentation des lois constitutionnelles. Certes même à ce moment M. le duc de Broglie mettait toute sa dextérité à prévenir le choc dont on le menaçait. Il n’est point douteux que, lorsque, dès le lendemain de l’ouverture de la session, il allait lire à l’assemblée l’exposé des motifs de la loi destinée à organiser une seconde chambre sous le nom de grand-conseil, il comptait sur l’effet de cette lecture. C’était assurément un spécifique conservateur de première force. Ce grand-conseil, avec ses combinaisons savantes et, avec les commentaires qui l’accompagnaient, semblait de nature à désarmer toutes les susceptibilités, à chatouiller les intransigeans eux-mêmes. Malheureusement pour le ministère, le grand-conseil n’a rien changé ; la lutte était dans l’air, et, comme il arrive souvent, elle s’est engagée, non sur le vrai point de dissidence, mais sur un détail, sur la priorité de discussion de la loi électorale politique ou de la loi municipale. Ce n’était là évidemment qu’un prétexte, la véritable question était entre ceux qui voulaient aborder l’organisation constitutionnelle par la loi électorale et ceux qui voulaient arrêter du premier coup tout ce qui conduisait à cette organisation.

Déjà quelques heures avant la discussion publique, dans une séance de la commission des trente, M. Lucien Brun avait très clairement dit sa pensée. M. le duc de Broglie et la commission demandaient que la loi électorale fût mise immédiatement à l’ordre du jour ; M. Lucien Brun et ses amis entendaient s’y opposer. La question, ainsi engagée, ne pouvait plus être résolue que par l’assemblée elle-même. Elle a été tranchée après un court débat de quelques minutes ; on sentait que ce n’était plus le moment des paroles inutiles. Le ministère avait au scrutin 317 voix pour lui, 381 voix contre lui. Élevé au pouvoir, soutenu par une coalition, il était vaincu par une coalition composée de la gauche,