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qu’il le comprend et qu’il l’aime, n’est pas le paysage libre et varié, ouvert à l’air, à la lumière, à tous les souffles vivifians de la nature ; M. Breton s’enferme volontiers dans un cadre étroit et sombre où peu d’objets peuvent trouver place ; il s’efforce d’arriver à l’effet tragique par la grande simplicité de l’aspect. Son horizon est restreint, son ciel bas et voilé, ses forêts sont noires et épaisses ; il aime à couvrir la terre d’un triste manteau de frimas. La toile intitulée l’Automne est encore plus renfermée et plus étouffée que d’habitude ; elle représente, sous un ciel noir, le lit resserré d’un ruisseau plein d’herbes vertes, bordé d’arbres brunis et jaunis ; au bout de cette espèce de ruelle encaissée dans la forêt, on aperçoit une cabane de celles que La Fontaine appelait, dans sa langue pittoresque, une « chaumine enfumée. » Le tout est d’une couleur riche et forte, mais sans assez d’air ni de profondeur. Le Crépuscule sous la neige représente l’entrée d’un village, où quelques lueurs commencent à paraître aux fenêtres des chaumières ; à l’horizon, la silhouette frileuse d’un clocher neigeux se dessine sur une lueur jaune qui perce entre des nuages noirs. Ce tableau, d’une facture large et robuste, respire cette espèce de désolation puissante, qui est le propre du talent de M. Emile Breton.

Si M. Breton fait de la tragédie, M. Daliphard fait du mélodrame. Sans parler de la difficulté vaincue, il y a des morceaux excellens et des intentions ingénieuses dans son Printemps au cimetière. Malheureusement l’antithèse est trop bien soulignée par des crudités fausses et par des contrastes un peu criards. Les pommiers en fleurs qui ombragent de leurs rameaux blancs les croix noires plantées dans l’herbe épaisse sont eux-mêmes un peu grisonnans, et l’on dirait qu’ils se sont mis en deuil. C’est surtout dans la peinture de paysage que la subtilité est un écueil. Pour produire une impression forte, il faut des effets francs et simples. Voyez plutôt le Bosquet aux chevreuils et la Route blanche de feu M. Chintreuil. Rien ne jure dans ces deux toiles. Dans la première, le ciel blanc et voilé qu’anime une nuance de bleu vif et frais, la forte verdure des taillis de chêne, la fine verdure du gazon, tout s’accorde au premier coup d’œil, tout forme un concert harmonieux que domine la note grise des chevreuils surpris au gîte. La Route blanche est peut-être plus saisissante encore. Les arbres, d’un vert sombre, qui bordent le chemin, le ciel d’un bleu un peu dur, les moissons dorées des deux côtés de la route, opposant leur lumière blonde à sa lumière blanche, tout s’y tient d’un seul morceau, tout concourt à rendre l’effet brutal d’un de ces soleils implacables qui en été dardent leurs rayons sur la campagne au milieu du jour. Ces deux tableaux, d’une mâle sincérité, nous font grandement sentir la perte de M. Chintreuil.