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si florissante. Le paysage est le refuge naturel des idéalistes et des rêveurs dégoûtés des vulgarités artificielles de l’art contemporain ; il est la ressource des talens honnêtes qui ne se prêtent pas au charlatanisme et à la mode du jour. Pour échapper à la laideur et à la médiocrité qui le débordent de toutes parts, l’artiste véritable se jette volontiers dans le sein de la nature inanimée ; il la prend pour confidente de ses secrètes émotions et de ses pensées intimes, il s’adresse à elle pour fuir le commerce d’une civilisation qui ne le comprend plus.

Mais là encore nos peintres ont de la peine à dépasser les horizons bornés de la vie bourgeoise. De nos jours, la nature elle-même se transforme à l’image de l’homme. Partout les vastes solitudes, les larges horizons, les aspects sauvages tendent à faire place à une nature plus petite, plus modeste, enjolivée et morcelée par la main de l’homme. Il se produit dans l’art un phénomène analogue : on a une tendance chaque jour plus visible à abandonner les grandes scènes naturelles ou les grands paysages savamment composés pour rechercher les détails, les petits recoins familiers, les beautés intimes, une chaumière moussue, un buisson, une haie vive, une mare, un verger, un chemin creux, une étroite, clairière au fond d’une forêt, un carré de luzerne, un champ de blé mûr. Voilà les sujets que préfèrent nos paysagistes modernes, d’accord en cela avec les goûts réalistes et avec l’esprit positif de leur temps.

Ce penchant à faire petit, même dans de grandes proportions, et à remplir des toiles souvent trop vastes avec des sujets trop restreints, se révèle même dans les ouvrages de ceux de nos peintres contemporains qui ont le goût de la grandeur et qui ont gardé quelque chose des anciennes traditions classiques. Le patriarche des paysagistes, M. Corot lui-même, semble obéir depuis quelque temps à une inspiration plus familière ; il nous semble cette année moins grand poète que de coutume et plus visiblement préoccupé du procédé pittoresque. M. Français excelle encore à donner un dessin précis et une forme presque académique aux caprices de la nature végétale, sans leur imposer la symétrie architecturale d’un style trop exclusivement décoratif ; mais il se restreint de jour en jour à des compositions plus modestes. L’aimable M, Fromentin, dont le talent semblait s’être agrandi à l’aspect des horizons du désert, revient au genre soyeux et fin de ses premières scènes algériennes, peuplées de montagnes sans solidité et de charmantes cavalcades multicolores. M. Harpignies, rude, anguleux, presque sauvage, dessine toujours les rochers et les arbres avec une dureté vigoureuse et un style sculptural empreint d’une certaine fierté ; mais les vastes horizons lui manquent, l’air ne circule pas librement dans ses toiles sans harmonie et sans profondeur. Les magnifiques toiles de