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écoute, renversé en arrière, appuyé sur son coude et les jambes nonchalamment croisées. Cette toile est la meilleure ; le lecteur remarquera que c’est aussi la plus modeste et celle qui a le moins de prétentions à la profondeur.

Dans un genre encore plus familier, la Chanson de Roland, de M. Coëssin de La Fosse, est une toile aimable, d’un sentiment juste et d’une exécution honnête. Dans la grande salle du château, devant la grande cheminée, la famille se groupe autour du dais où trônent le châtelain et la châtelaine : le chanteur, debout devant eux, déclame son poème en s’accompagnant d’une vielle. Le fou, les servantes, les pages, les hommes d’armes, tous sont là, buvant ses paroles, jusqu’au lévrier tranquillement couché, sur la tête duquel se promène la main nonchalante du maître. Cette scène d’intérieur est pleine de charme ; mais elle n’a de gothique que les costumes, et, si l’on en retirait les costumes, personne ne la regarderait plus.

La peinture de batailles, elle aussi, a changé de caractère en changeant de dimensions, et l’on ne saurait dire qu’elle ait perdu au change, car elle était tombée, sous le dernier régime, dans une décadence profonde. Maintenant nos artistes ont vu la guerre de près, la guerre véritable, non pas la guerre stratégique telle que la combine un général ou telle que la raconte un historien, mais la guerre populaire, telle que la voit un simple soldat, telle que la décrit M. Erckmann-Chatrian dans le Conscrit de 1813. A la place de ces victoires d’apparat, que le second empire faisait fabriquer sur commande, ils nous donnent des scènes prises sur le vif, la Charge de cuirassiers de M. Détaille, le Combat sur une voie ferrée de M. de Neuville. M. Détaille, qui est un dessinateur exact et un artiste consciencieux, épris de la vérité photographique, s’est heurté cette année aux difficultés d’un sujet mal choisi. Il a voulu représenter une colonne de cavalerie venant se choquer, dans un village, contre une barricade improvisée. Les premiers plans, d’ailleurs fort habilement rendus, ne se composent que de charrettes renversées et de débris entassés en travers de la rue. C’est par-dessus ce premier plan, beaucoup trop maigre, qu’on aperçoit les cuirassiers venant se jeter dans une sorte d’entonnoir où l’ennemi les fusille à bout portant du haut des maisons alsaciennes, à grands toits et à fenêtres étroites. Ils tombent un à un, leurs chevaux se cabrent ou s’abattent ; on sent qu’ils vont se briser contre ce faible obstacle. Tout est vrai dans cette toile ; malheureusement la perspective y fait complètement défaut, les figures s’étouffent et manquent d’air, bien qu’éparpillées trop au hasard. M. Détaille nous paraît vaincu cette fois encore par M. de Neuville. Celui-ci n’a peut-être pas la