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Dans le salon où Mme Duchâtel a réuni ses tableaux sont exposés trois portraits, certainement les plus beaux parmi ceux de cette exposition, où les portraits abondent. L’un d’eux représente l’archevêque de Besançon, chancelier de Bourgogne et de Flandre, Carondelet : il est inscrit sous le nom d’Holbein. L’attribution a été contestée sans que l’on prétendît pour cela diminuer la valeur de cette œuvre supérieure. A l’opacité des ombres, à la tonalité violacée des chairs, les érudits qui ont visité les musées d’Allemagne et de Russie reconnaissent Barthélémy de Bruyn, un peintre tout à fait inconnu en France. Né à Cologne, il imita souvent sans infériorité le maître d’Augsbourg, et sans doute il fut le peintre habituel du haut dignitaire de l’église, car on signale un autre portrait de Carondelet peint par Bruyn dans la collection Boisserée, à la Pinacothèque de Munich. Celui de Paris unit toute la profondeur de pensée que l’ami d’Érasme se plaisait à répandre sur le visage humain à cette simplicité de modelé dont nous avons dit que les peintres d’histoire semblent plus souvent avoir le secret. Cependant Bruyn ne fut qu’un médiocre hagiographe, comme le prouvent ses compositions, récemment reproduites par la lithographie ; mais il s’est élevé si haut comme portraitiste qu’on l’a confondu plus d’une fois avec Holbein : c’est un honneur qu’il ne partage avec nul autre et qui suffit à sa gloire.

Antonio Moro ou, pour lui rendre son véritable nom, Antony de More, un des premiers en Flandre, renia l’enseignement national. Le soleil de Venise dore la palette de cet élève de Schoorel, et déjà on pressent l’entrée en scène d’un art nouveau en regardant les chaudes carnations et les reflets pleins de sang et de vie dont ce prédécesseur de Rubens a éclairé les visages de ses nobles cliens. Voilà encore un maître admirable incomplètement représenté au Louvre, où figureraient sans pâlir, à côté des plus beaux Titien, les deux volets, qui, avec le Carondelet, sont l’honneur de la galerie Duchâtel. — Un grand tableau, la Marche de Silène, à Mme de Galliera, est une bonne toile de Rubens, mais deux esquisses, la Résurrection de Lazare et Vénus retenant Mars, à MM. de Lamoignon et Marcille, peintes de cette touche savamment négligente qui désigne les toiles incontestées du grand maître d’Anvers, montrent comme en se jouant cette verve de dessinateur, cette sécurité de coloriste, qui secondent si merveilleusement en lui la fécondité de l’invention, la flexibilité et la justesse du sentiment. Parmi les portraits du glorieux élève de Rubens, nous avons surtout remarqué une Tête de jeune homme, appartenant à M. André. On sait ce que valent les chefs-d’œuvre de Van Dyck, de cet inimitable réaliste qui éleva presque le talent à la hauteur du génie. Même après avoir vu les toiles de Gênes, de Munich