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par l’action des torrens qui apportaient dans les lacs des masses considérables de graviers et de cailloux. Ces dépôts, en s’accumulant à l’entrée de la baie de Triton, auraient fini par la fermer. Il est certain que les cours d’eau qui s’écoulent dans le bassin des chotts deviennent par momens de véritables torrens ; mais, lorsque la communication existait, ce bassin était inondé, et, quelle que fut la vitesse des torrens, elle était bientôt détruite par la résistance de la masse liquide où ils pénétraient leur action ne pouvait pas se faire sentir à plus d’un kilomètre ou deux du rivage. C’est dans ce rayon que les sables devaient nécessairement se déposer. Pour qu’ils fussent entraînés ensuite vers l’embouchure de la baie, il eût fallu un courant général des eaux de cette baie vers la Méditerranée. Un tel courant devait-il se produire, et dans ce cas était-il assez fort pour charrier les sables déposés-à l’estuaire des torrens ?

A l’époque où la grande baie de Triton existait, elle était nécessairement alimentée par un courant venant du golfe de Gabès, puisqu’elle a commencé à se dessécher dès que l’isthme fut formé. La quantité d’eau enlevée au bassin de la Méditerranée par les rayons solaires et non restituée par les pluies représente annuellement une couche de 1 mètre 1/2[1]. L’évaporation devait être plus rapide dans la baie de Triton que dans la Méditerranée ; mais les eaux qu’elle perdait ainsi allaient, en grande partie, se résoudre en pluie sur les versans méridionaux de l’Aurès, d’où elles lui étaient ramenées par les nombreux affluens qui y prennent leur source. La baie de Triton pouvait occuper une surface de 320 kilomètres de longueur sur 60 kilomètres de largeur. En admettant que la différence entre les eaux qu’elle recevait et celles qui lui étaient enlevées par l’évaporation se traduisît, comme pour la Méditerranée, par une couche de 1 mètre 1/2, elle perdait environ 28 milliards de mètres cubes par an. Pour lui restituer cet énorme volume d’eau, il suffisait d’une vitesse de 11 mètres par minute à un courant de 1,000 mètres de largeur sur 5 mètres de hauteur. A l’époque d’Hérodote, où la communication devait être très large, la vitesse du courant était nécessairement plus faible.

Les eaux de la mer contiennent en volume 27 millièmes de sel, qu’elles déposent en s’évaporant. La baie de Triton recevant tous les ans de la Méditerranée une couche d’eau de 1 mètre 1/2, il se serait formé au fond du lit un dépôt annuel de 40 millimètres, et, en lui supposant une profondeur de 60 mètres, elle se serait transformée en moins de quinze cents ans en un immense bloc de sel. C’est ce qui finirait par arriver à la Méditerranée et à la Mer-Rouge, s’il n’existait pas à l’entrée de ces mers des contre-courans inférieurs

  1. Elisée Reclus, la Terre, p. 111.