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pyramides, et qu’il devait terminer si heureusement comme bibliothécaire du duc de Waldstein, fit rencontre d’une certaine marquise d’Urfé, grande enthousiaste de sciences occultes, et s’associa avec elle pour fabriquer des homunculi ; il nous a raconté avec sa naïveté d’Italien sans vergogne combien cette fabrication lui fut utile, et à quel point elle fut ruineuse pour son associée. On voit encore un d’Urfé prendre part à la guerre d’Amérique, puis se lancer à corps perdu dans la révolution, et finir par s’empoisonner en prison comme son ami Condorcet ; mais l’un et l’autre n’eurent des d’Urfé que les titres. La marquise de Casanova, de son nom de famille Jeanne Camus de Pontcarré, eut pour mari un Larochefoucauld, et son petit-fils, ce révolutionnaire même que nous venons de citer à sa suite, s’appelait Du Chastellet. Lorsque la révolution française voulut mettre sous le séquestre les biens de ce dernier héritier, il se trouva qu’il n’en restait à peu près rien. En moins d’un siècle, tout avait disparu de cette famille, qui avait été si puissante et si riche, corps, titres et biens. Voilà les tours de roue de la fortune dans un monde où tout prend fin, ayant pris commencement, moralité vieille comme le monde, mais qui ne laisse pas que de nous rendre rêveurs chaque fois que nous sommes témoins de quelqu’une de ces évolutions de la destinée, c’est-à-dire à peu près tous les jours.


II. — LE CHATEAU DE LA BATIE.

Lorsque Claude d’Urfé revint d’Italie en 1548 pour être gouverneur des enfans de France, il en rapporta deux enthousiasmes, l’enthousiasme païen des arts de la renaissance et l’enthousiasme mystique des doctrines eucharistiques de ce concile de Trente auprès duquel il avait représenté notre monarchie ; le château de La Bâtie, propriété héréditaire de sa famille, reconstruit par ses soins sous cette double inspiration, garde de l’un et de l’autre de ces sentimens un souvenir précieux et durable.

Ce n’est pas ici qu’il faut chercher le berceau féodal des d’Urfé[1] ; le château de La Bâtie n’est pas un manoir, c’est une maison de plaisance, et il eut toujours ce caractère, même avant qu’il eût été reconstruit dans le goût italien par Claude. Situé en plaine, il a l’air comme perdu dans l’intérieur des terres, bien qu’il ne soit qu’à quelques pas d’un gros village gaîment étage sur une pente assez rapide. A l’époque de sa splendeur, alors qu’il était protégé contre

  1. Ce berceau féodal était le château d’Urfé, près de Saint-Just en Chevalet, dont les ruines sont célèbres.