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continrent à la longue beaucoup de Turcs musulmans, et qu’entre ces deux extrémités se forma une nation moitié turque et moitié chinoise que l’on désigne maintenant sous le nom de Tounganes. En 1757, l’empereur de la Chine s’empara de toute cette contrée. Son autorité fut reconnue jusqu’au pied du Boulor-Tagh, à 5,000 kilomètres de Pékin. Cependant cet empereur était déjà de la dynastie mandchoue, aussi détestée par les vrais Chinois que par les Turcs qu’il venait de conquérir. Les Khodjas détrônés se réfugièrent à Khokand, attendant l’occasion de prendre leur revanche.

Leurs descendans l’essayèrent en 1827. L’un d’eux, Jehanghir-khan, renommé pour son courage, envahit la Kachgarie à la tête d’une troupe d’Ousbegs. Quoiqu’il eût réussi d’abord à prendre Yarkand, au bout de quelques mois le sort des armes lui fut contraire. De retour dans son pays natal, il fut livré par le khan de Khokand aux Chinois, qui l’emmenèrent à Pékin et lui coupèrent la tête. La mémoire de cet infortune chef de bande est restée populaire dans l’Asie centrale. Un peu plus tard, en 1852, eut lieu une nouvelle tentative. Un Khodja devint momentanément maître de Kachgar. Celui-ci ne se fit remarquer que par une cruauté dont les Turcs eux-mêmes, peu susceptibles sous ce rapport, se dégoûtèrent bien vite. Il avait imaginé d’ériger auprès de sa capitale une pyramide de crânes humains. Adolphe Schlagintweit, le savant et malheureux voyageur qui s’aventura dans le Turkestan oriental à cette époque, fut l’une des victimes de ce tyran sanguinaire. Il n’est pas étonnant que le peuple ait rappelé lui-même les Chinois pour mettre fin à de si terribles massacres.

Nous arrivons à des événemens qui ont laissé une trace plus durable. On a vu comment les musulmans s’étaient infiltrés depuis des siècles dans le Kansou et le Chensi. Il a été dit aussi qu’une des conséquences de la prise de Pékin par l’armée anglo-française fut l’insurrection des Panthays dans le Yunnan, et celle des Toufehs dans le Szechuen. A l’instar de leurs coreligionnaires de ces deux provinces, les musulmans du nord s’insurgèrent en 1862. Ne perdons pas de vue toutefois que le caractère commun de toutes ces révoltes était la haine de la dynastie mandchoue, et non point une hostilité de race entre les Turcs et les Chinois, si bien que les insurgés mahométans s’alliaient volontiers aux Taïpings, qui étaient, eux, de religion bouddhiste. Bien que l’on ne connaisse guère les vicissitudes de cette troisième insurrection, il paraît probable qu’elle a été comprimée, et que le Kansou et le Chensi, de même que le Yunnan et le Szechuen, sont maintenant des provinces paisibles du Céleste-Empire ; mais l’ébranlement qu’en reçut alors la population musulmane s’étendit plus loin à l’ouest. Les Tounganes prirent aussi les armes ; il était moins facile de les réduire.