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le désarroi augmentait. Tandis que Lebrun passait librement la Meuse dès le 29 à Mouzon et que Ducrot allait à son tour la passer sans trouble le lendemain un peu plus bas, à Remilly, Douay et de Failly restaient pendant ces deux jours aux prises avec les difficultés les plus sérieuses. Si l’état-major prussien avait voulu attendre le moment décisif, il n’aurait pu mieux calculer, et il ne pouvait aussi être mieux servi : il allait trouver le 30 août deux de nos corps sur la rive droite de la Meuse, deux autres corps sur la rive gauche, celui de Douay s’avançant péniblement à travers le défilé de Stonne, celui du général de Failly s’attardant à Beaumont, comme pour préparer au prince de Saxe une facile victoire, premier prix des habiles manœuvres de M. de Moltke.


IV

Il y a des heures où tout est contre-temps. Ce premier contretemps de Beaumont, où venait aboutir cette étrange campagne, fut une désastreuse surprise, prologue de la grande et irréparable catastrophe qui se préparait. La veille, le général de Failly avait passé une partie de la journée à se battre avec les Saxons vers Nouart et Bois-des-Dames, sur la route de Stenay qu’il avait mission de suivre. Un officier lui avait été envoyé le matin pour modifier sa direction et le détourner d’un combat trop obstiné ; cet officier, M. de Grouchy, avait été pris par l’ennemi. Le général de Failly n’avait donc appris qu’assez tard, par un second officier, qu’il devait se rabattre sur Mouzon par Beaumont, où son corps refluait effectivement pendant toute la soirée, où il n’arrivait lui-même qu’assez avant dans la nuit.

Cette petite ville de Beaumont, où le général de Failly se trouvait conduit par un hasard de la guerre, est sur les derniers versans de l’Argonne, dans une sorte d’hémicycle fermé au sud par la vaste forêt de Dieulet, couvert au nord par une série de collines, les Gloriettes, couronnées de bois qu’il faut franchir pour arriver à Mouzon. Par l’est, elle touche presqu’à un repli de la Meuse, coulant à peu de distance par l’ouest, elle communique avec l’intérieur de l’Argonne, avec les défilés où Douay se trouvait en ce moment même engagé. Ce n’était pas une ville à défendre, c’était un camp de passage où pouvait s’abriter un moment une petite armée marchant avec vigilance. La vérité est que le malheureux 5e corps, arrivant pendant toute la nuit pêle-mêle, exténué de fatigue et affamé, s’était installé comme il avait pu autour de Beaumont : au sud de la ville, au bas des pentes boisées de Dieulet, la division Goze avec quelques régimens de la division Guyot de Lespart, au nord le