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bout sa propre inspiration ? Chose curieuse qui peint le chaos du moment, l’empereur lui-même, qu’on a toujours cru favorable aux idées venant de Paris, pressait au contraire le maréchal de persister dans ses intentions de retraite. Devant les dépêches si impératives qu’il recevait coup sur coup, Mac-Mahon croyait devoir s’arrêter. C’était la fatalité qui triomphait encore une fois dans ce drame intime du Chêne-Populeux, ayant pour messagère un télégramme du général de Palikao !

Le désastre, j’ose le dire, ne pouvait plus être loin. Cette péripétie nouvelle avait d’autant plus de gravité que par le fait, au moment où arrivaient les injonctions aussi impérieuses qu’irréfléchies du ministre de la guerre, la retraite sur Mézières était déjà commencée. Dès le 27 au soir, les premiers ordres avaient été donnés, et aux premières heures de la nuit les quatre corps s’étaient hâtés de préparer leur marche vers l’ouest par Vendresse, Poix, Mazerny, en se faisant précéder des parcs et des bagages. Il fallait donc tout changer maintenant, revenir sur ses pas, ramener dans la direction qu’on venait d’abandonner ces masses de quatre corps d’armée qui, en s’accumulant sur quelques routes autour du Chêne, en se coupant pour reprendre leur ligne, finissaient par produire des « encombremens inextricables d’hommes, de voitures et de chevaux. » Le temps était affreux, les soldats, excédés de fatigues inutiles, manquant souvent de vivres, s’abandonnaient à l’indiscipline, l’inquiétude et la défiance entraient dans les esprits au spectacle de ces mouvemens contradictoires qu’on ne s’expliquait pas, dont le commandement souffrait dans son prestige. C’est à peine si, après plus de douze heures passées à se débattre dans une confusion démoralisatrice, on avait regagné quelques kilomètres le 28 au soir, et ce n’est guère que le 29 que l’armée française pouvait reprendre sa marche sur une ligne assez incohérente, où le 12e corps occupait la gauche, où le 5e corps, par une évolution singulière, avait passé à l’extrême droite. Malheureusement ce temps que nous perdions tournait au profit de l’ennemi, qui s’avançait rapidement, qui se montrait à Grand-Pré, à Buzancy, sur notre front, même à Vouziers sur nos derrières, tourbillonnant de toutes parts, prenant nos positions à mesure que nous les quittions, grossissant à vue d’œil, si bien que ce qui eût été encore possible le 27 devenait à chaque instant plus difficile.

Que se proposait de faire le maréchal de Mac-Mahon, exécuteur obéissant des ordres de Paris ? Il voulait toujours sans doute franchir la Meuse, dont il n’était plus éloigné, pour se diriger sur Montmédy ; il voulait même la franchir « coûte que coûte, » au plus vite. C’était l’instruction incessante qu’il adressait à tous ses lieutenans ; seulement, rien n’est plus clair, à mesure qu’on avançait,