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force évaluée à 50,000 hommes serait établie sur la rive droite de la Meuse pour gêner ma marche sur Metz. Des renseignemens annoncent que l’armée du prince royal de Prusse se dirige aujourd’hui sur les Ardennes avec 50,000 hommes… Je suis au Chêne avec un peu plus de 118,000 hommes. Je n’ai aucune nouvelle de Bazaine ; si je me porte à sa rencontre, je serai attaqué de front par une partie des Ire et IIe armées, qui à la faveur des bois peuvent dérober une force supérieure à la mienne, en même temps attaqué par l’armée du prince royal de Prusse me coupant toute ligne de retraite. Je me rapproche demain de Mézières, d’où je continuerai ma retraite, selon les événemens, vers l’ouest »


Que répondait-on de Paris ? La dépêche de Mac-Mahon était visiblement un nouveau coup de foudre pour le gouvernement. Aux appréciations si nettes du maréchal, le ministre de la guerre opposait des alarmes politiques, des informations de fantaisie puisées on ne sait où. « Si vous abandonnez Bazaine, disait-il, la révolution est dans Paris, et vous serez attaqué vous-même par toutes les forces de l’ennemi. Ce n’est pas le prince royal de Prusse qui est à Châlons, mais un des princes, frère du roi, avec une avant-garde et des forces de cavalerie… » Le général de Palikao assurait qu’on se trompait, qu’on avait « trente-six heures, peut-être quarante-huit heures d’avance » sur le prince royal. « Vous n’avez devant vous, ajoutait-il, qu’une partie des forces qui bloquent Metz, et qui, vous voyant vous retirer de Châlons à Reims, s’étaient étendues vers l’Argonne. » Évidemment le général de Palikao ne voyait rien, il n’avait aucune idée ni de la position du maréchal, ni des intentions et des mouvemens de l’ennemi, ni de la vérité des choses ; il fermait les yeux à la lumière qu’on lui montrait, et tout entier à sa pensée, à l’entraînement de sa confiance, comme s’il eût craint de n’avoir pas dit assez dans sa première dépêche de la nuit, il adressait le 28 au matin à Mac-Mahon une véritable sommation : « Au nom du conseil des ministres et du conseil privé, je vous demande de porter secours à Bazaine en profitant des trente heures d’avance que vous avez sur le prince royal de Prusse. Je fais porter le corps de Vinoy sur Reims… » C’était le renouvellement des pénibles luttes de Châlons et de Reims, mais cette fois dans des conditions nien plus extrêmes, bien plus décisives. Il s’agissait sinon de tout sauver, — c’était difficile désormais, — du moins d’éviter de tout perdre, de s’arrêter au bord de l’abîme, et ce jour-là certes le général de Palikao se chargeait d’une terrible responsabilité. Livré à lui-même, Mac-Mahon n’eût point hésité ; il n’avait point écrit à Paris pour provoquer des ordres qu’on pouvait se dispenser de lui donner ; il notifiait simplement une résolution prise. Que ne le laissait-on faire ? que ne résistait-il de son côté et ne suivait-il jusqu’au