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réussi ; il était réduit à repartir immédiatement pour Paris sans avoir rien obtenu, emportant, avec des proclamations et des décrets, la certitude de cette résolution de retraite qui allait jeter la régente, le conseil, le ministre de la guerre, dans des transes nouvelles et provoquer de leur part un suprême effort d’opposition.

La question en était là lorsque tout changeait de face par une de ces péripéties qui sont comme les auxiliaires de la fatalité. Dans la matinée du 22 août, au moment où les ordres pour la marche sur Paris étaient déjà prêts, arrivait à Reims une dépêche du maréchal Bazaine datée du 19, et disant : « Je compte toujours prendre la direction du nord et me rabattre ensuite par Montmédy sur la route de Sainte-Menehould et Châlohs, si elle n’est pas fortement occupée ; dans le cas contraire, je continuerai sur Sedan et même Mézières pour regagner Châlons… » D’un autre côté, à peu d’intervalle, arrivait de Paris un télégramme plein d’émotion et d’impatience, expédié sous l’impression du rapport de M. Rouher. « Le sentiment unanime du conseil en présence des nouvelles du maréchal Bazaine » est plus énergique que jamais, disait-on. Les résolutions prises hier soir devraient être abandonnées ;… ne pas secourir Bazaine aurait à Paris les plus déplorables conséquences. En présence de ce désastre, il faudrait craindre que la capitale ne se défendît pas… » C’est sous le coup de ces communications que le maréchal de Mac-Mahon se décidait, entre dix heures du matin et une heure de l’après-midi, à suspendre son mouvement sur Paris, à reprendre la route du nord. Que cette décision fût prise tout d’abord sur la dépêche de Bazaine, avant l’arrivée de la dépêche du ministre de la guerre, qui se serait croisée, dit-on, sur le fil du télégraphe avec l’avis de la détermination nouvelle adoptée à Reims, soit ; la question de responsabilité morale ne change guère. Le télégramme ministériel n’était pas moins parti de Paris avant qu’on connût aux Tuileries ce qui se passait à Reims depuis le matin ; il avait pour objet d’aiguillonner le maréchal ou, pour mieux dire, de lui fermer la route de Paris. C’était la manifestation redoublée, aggravée, de la pression sous laquelle se débattait depuis quatre jours le commandant en chef de l’armée de Châlons, et qui pesait certainement sur lui à cette dernière heure ; mais ce n’est pas tout, ce n’est même pas le point le plus grave.

Cette délibération contradictoire, agitée, se complique d’une circonstance plus délicate. Il y avait une autre dépêche de Bazaine « expédiée de Metz à la suite de la première le 19 au soir ou le 20 au matin par une voie différente, arrivée aussi le 22 à Reims, adressée spécialement au maréchal de Mac-Mahon et disant : « J’ai dû prendre position près de Metz pour donner du repos aux soldats et les ravitailler… L’ennemi grossit toujours autour de moi ; je suivrai