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s’adressait même, lorsqu’il le pouvait encore, au maréchal Bazaine, qui ne lui disait rien ou qui lui répondait qu’il était « trop éloigné du centre de ses opérations pour régler ses mouvemens, » qu’il le laissait « libre d’agir comme il l’entendrait. » Dès lors Mac-Mahon n’hésitait plus, et le 21 août, quittant le camp de Châlons ; qu’une précipitation malheureuse livrait aux flammes derrière lui, il portait son armée ou ce qui pouvait s’appeler son armée, non plus sur Verdun, mais sur Reims. Là il pouvait encore, ou revenir vers le nord, s’il le fallait, ou se replier décidément sur Paris, ou même attendre l’ennemi sur les fortes positions de la montagne et de la forêt de Reims. Au fond, il avait fait son choix ; Reims n’était pour lui à ce moment que la première étape de la retraite définitive sur Paris.

Une scène caractéristique qui se passait ce jour-là même ne faisait que confirmer et accentuer la pensée du maréchal. M. Rouher venait d’arriver en plein mouvement de l’armée. Ancien ministre de confiance de l’empereur, président du sénat, assistant au conseil depuis les premiers désastres de la guerre, M. Rouher n’était-il conduit à Châlons que par une inspiration toute spontanée de sympathie pour son souverain ? S’il n’avait aucune mission, s’il n’était qu’un voyageur de sentiment, et il l’assure, il pouvait passer du moins pour un plénipotentiaire suffisamment autorisé des vœux, des désirs, des impressions qui régnaient autour de la régente, dans les conseils, du gouvernement de Paris. Toujours est-il qu’arrivé le matin du 21 au camp de Châlons, le soir à Reims, il se rencontrait au quartier-général de Courcelles avec l’empereur, le maréchal de Mac-Mahon, le chef d’état-major de l’armée, et dans cette entrevue, transformée en une sorte de conseil de guerre assez étrange, il livrait un dernier combat pour les idées d’offensive du général de Palikao. Bien qu’il n’eût aucune illusion et qu’il crût déjà « tout perdu, » — c’était le mot dont il se servait en abordant l’empereur, — M. Rouher n’insistait pas moins pour la grande combinaison. Il faisait de la stratégie à sa manière, il proposait au maréchal de Mac-Mahon d’aller « faire sa jonction avec Bazaine, » de battre sans doute les Allemands, puis « de revenir sur le prince royal » pour « protéger Paris dans des conditions de victoire et sauvegarder tous nos intérêts. » C’était ce qui s’appelait conduire rondement les choses. Le maréchal avait une idée bien autrement sérieuse de la situation, et refusait absolument de se laisser entraîner dans cette aventure. « C’est impossible ! » s’écriait-il, et il déclarait du ton le plus résolu que le lendemain, à moins de quelque nouvelle décisive ou d’un ordre de Bazaine, il se dirigerait positivement sur Paris. L’empereur écoutait et ne disait rien, il en revenait à son mot : « alors que faut-il faire ? » M. Rouher n’avait pas