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l’ancien pays des trois évêchés. C’est l’Argonne, vaste complication de plateaux, de gorges, d’étangs et de forêts. Du côté de la Champagne, en avant de l’Argonne, l’Aisne est une première ligne d’opérations. Du côté du nord, les versans du massif s’abaissent vers la Meuse, qui, descendant des régions de Langres, court par Commercy, Saint-Mihiel, Verdun, Stenay, Mouzon, Sedan, Mézières. Au-delà de la Meuse, sur la rive droite, des hauteurs parallèles entrecoupées de vallées, le chemin de fer de Mézières à Metz par Carignan et Montmédy, puis la frontière belge. Des routes nombreuses sillonnent depuis longtemps le pays, devenu facile même pour des armées. Quatre principaux passages s’ouvrent toujours à travers l’Argonne. L’un, le plus direct, le défilé des Islettes, est celui que suit la grande route de Paris à Metz par Sainte-Menehould et Verdun. C’est là que Dumouriez, campé autour de Sedan, venait en 1792 prendre à revers et briser par la canonnade de Valmy l’invasion prussienne qui était déjà en Champagne. Plus à l’ouest se succèdent les passages de Grand-Pré, — de la Croix-au-Bois, où l’on arrive par Vouziers, — du Chêne-Populeux. Toutes ces issues servent à déboucher sur la Meuse entre Verdun et Sedan. Qu’on observe bien qu’à partir du 21 et du 22 août l’armée du prince de Saxe avait précisément sa direction par Verdun sur la route de Sainte-Menehould en se liant au prince royal de Prusse.

C’est dans ces conditions et sur ce terrain, c’est en présence des dispositions stratégiques d’un ennemi aussi vigilant qu’audacieux et avec des forces à peine rassemblées à Châlons que le général de Palikao parlait de revenir aussitôt à l’action. Il avait deux ou trois plans de campagne en quelques jours. Il voulait ou qu’on allât droit sur Verdun pour culbuter le prince de Saxe et donner la main à l’armée de Metz, — ou qu’on marchât par Stenay sur Montmédy, si Bazaine ne pouvait plus percer que de ce côté, — ou bien, enfin qu’on se jetât sur le prince royal de Prusse en marche sur Paris par la ligne de l’Est. Il n’y avait que le choix des combinaisons tour à tour proposées et agitées, malheureusement fondées les unes et les autres sur une appréciation bien peu juste de nos forces, et sur une ignorance des mouvemens de l’ennemi qui ne fut peut-être jamais égalée, qui reste un des phénomènes les plus étranges de cette étrange et triste guerre.

Aller à Verdun, — premier projet de prédilection du général de Palikao, — oui, assurément, rien de mieux, si c’était possible, si on avait une armée manœuvrière en état de renouveler sous un Napoléon les miracles de la campagne de 1814, si on pouvait gagner de vitesse le grince de Saxe sur la Meuse, si le prince de Prusse, qui allait être sur notre flanc, avait les yeux fermés et ne faisait rien pour nous troubler. Un désastre devenait inévitable, si une de ces