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prince royal de Prusse devait s’arrêter avec la IIIe armée sur la route de Nancy, en attendant l’effet des grands coups qui se préparaient, en se tenant prêt à seconder, s’il le fallait, ces combinaisons. La question une fois vidée devant Metz par les batailles du 16 et du 18, tout changeait de face. Les chefs militaires allemands, sachant ce qui en était beaucoup mieux qu’on ne le savait à Châlons ou à Paris, se sentaient plus libres. Le prince royal pouvait désormais reprendre sa marche, dépasser Nancy et s’avancer en côtoyant le chemin de fer de l’Est dans la direction de la Marne et de Paris. Ce n’est pas tout. La bataille de Saint-Privat était à peine finie depuis quelques heures, l’état-major allemand croyait déjà possible de former une armée nouvelle qu’il appelait « l’armée de la Meuse » et qu’il plaçait sous les ordres du prince royal de Saxe. Il allait rester, pour bloquer Metz et contenir Bazaine, les trois corps de la Ire armée, quatre corps du prince Frédéric-Charles, deux divisions et demie de cavalerie et 104 batteries d’artillerie. L’armée du prince de Saxe, composée de la garde prussienne, du IVe corps, du XIIe corps saxon et de deux divisions de cavalerie, — à peu près 80,000 hommes, — devait enlever Verdun, si elle pouvait, passer dans tous les cas la Meuse à cette hauteur et s’avancer par la route de Sainte-Menehould sur Châlons en se reliant au prince royal de Prusse, en concourant au grand mouvement sur Paris. C’était sur un vaste front une masse de 240,000 hommes, divisée en deux armées qui devaient sans cesse combiner leurs marches et leurs opérations. — Dès le 20 août, ce mouvement était commencé et allait continuer les jours suivans, éclairé et couvert à distance par des nuées d’audacieux cavaliers battant le pays, devançant le gros des forces prussiennes.

Ainsi entre le 18 et le 23 août la question en est là. L’armée de Châlons se forme en toute hâte, confusément. Bazaine est enfermé sous Metz, plus ou moins occupé à se refaire, donnant sur ce qu’il peut ou sur ce qu’il veut des nouvelles plus ou moins exactes. D’un autre côté, le prince royal de Prusse est en marche, s’avançant vers la Marne, poussant bientôt des partis jusque vers l’Aube. Le prince de Saxe, qui a déjà un de ses corps, le IVe, à Commercy, se liant à la IIIe armée, commence à franchir la Meuse avec la garde prussienne et le XIIe corps en contournant Verdun, où il va se heurter inutilement, qu’il ne peut enlever de vive force, mais qui n’arrête pas sa marche. Cette distribution même des rôles et des situations définit et limite en quelque sorte d’avance le terrain où allait s’engager la campagne, si l’on voulait essayer de rejoindre l’armée de Metz pour combattre avec elle ou pour la dégager en appuyant sa retraite : c’est cette région montueuse et boisée qui se déroule depuis Toul, ; particulièrement depuis Bar-Ie-Duc jusqu’aux Ardennes, qu’il faut franchir pour se porter des plaines de la Champagne dans