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nuitamment, en se cachant comme un vaincu et un fugitif. Un tel retour lui semblait un attentat à « l’honneur de l’empereur, » à sa « gloire. » On avait encore l’illusion de la gloire ! La chevalerie de l’impératrice fixait l’empereur au camp et l’envoyait se relever à la première bataille qui se livrerait. Le ministre de la guerre, vieux et vaillant soldat dépaysé dans les affaires publiques, homme d’imagination et d’expédiens encore plus qu’organisateur, avait, lui aussi, sa pensée ou, si l’on veut, sa fascination. Il n’avait pas eu de peine à voir que l’éparpillement de nos forces avait contribué à nos désastres, et il voulait, comme il le dit assez naïvement, « changer les rôles, opposer aux masses prussiennes des masses françaises. » Il avait été de plus frappé de ce fait que notre armée, d’habitude si hardie, s’était vue dès le premier moment réduite à une défensive décousue, déconcertée, et il voulait lui rendre la confiance en la ramenant tambour battant à l’ennemi. Le général de Palikao improvisait de nouveaux corps, il s’enivrait un peu des plans de campagne qu’il imaginait, et c’est ainsi que par des raisons militaires qui n’excluaient pas la préoccupation dynastique, qui la voilaient ou la palliaient tout au plus, le ministre de la guerre se trouvait d’accord avec la régente pour s’opposer à toute pensée de retraite sur Paris. Aller en avant, aller au secours de Metz, c’était bientôt le mot d’ordre habilement propagé de façon à intéresser le patriotisme ; mais il ne suffisait pas de vouloir. Tout dépendait d’un certain nombre d’élémens inconnus ou incertains : l’état de l’armée qu’on voulait envoyer au combat, la position et les ressources du maréchal Bazaine, qu’on se proposait de rejoindre, la marche et les progrès de l’ennemi dans les provinces françaises, la nature du terrain où l’on pouvait engager une campagne nouvelle. Qu’en était-il de tout cela réellement ?

L’armée de Châlons, cette armée que le ministre de la guerre destinait à rétablir nos affaires, allait être en quelques jours, il est vrai, d’un peu plus de 100,000 hommes avec une artillerie de plus de 400 bouches à feu ; mais comment se composait-elle ? Elle ressemblait déjà, même après s’être débrouillée de la confusion du premier moment, à une de ces armées qui sont le suprême effort d’un pays. Le 1er corps, jeté avant les autres sur cette « plage » de Châlons et placé maintenant sous les ordres du général Ducrot, avait cruellement souffert du feu de Frœschviller, du trouble d’une longue retraite. Ducrot s’employait énergiquement à le refaire. Il fallait suivre en courant ce travail de réorganisation, rétablir la discipline, jeter dans des cadres à demi détruits des renforts de réserve qui ne suffisaient pas à remplir les vides. Je ne veux citer qu’un exemple ; même avec un contingent assez copieux, qu’il