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l’empire est pour le moment condamné à se débattre entre les affaires, qui attirent son impatiente activité, et les souffrances, qui le réduisent à une immobilité douloureuse.

La maladie de M. de Bismarck est certainement une complication de plus au milieu des luttes parlementaires et religieuses qui s’agitent en Allemagne. Le fait est que, pendant quelques jours, on a été à se demander si gouvernement et parlement allaient se trouver en conflit, comme avant 1866, au sujet de l’organisation militaire. Autrefois il s’agissait de l’état militaire de la Prusse, il s’agit aujourd’hui de l’état militaire de l’empire allemand ; au fond, la difficulté est la même, La question est toujours de savoir si l’armée reste l’affaire exclusive du souverain et de ses ministres, ou si elle dépend, dans sa constitution organique, de l’autorité parlementaire. Le gouvernement impérial avait proposé récemment au Reichstag un contingent de paix s’élevant à 401 000 hommes, et il demandait surtout que ce contingent fût fixé d’une manière permanente et irrévocable, sans avoir à subir l’épreuve d’un vote annuel. Le premier mouvement de la commission parlementaire a été, non-seulement de réclamer une réduction considérable du chiffre de l’armée, qu’elle voulait ramener à 360 000 hommes, mais encore et surtout de maintenir pour le Reichstag le droit de contrôle par le vote annuel. C’était le vieux conflit qui reparaissait, et il pouvait avoir d’autant plus de gravité que bon nombre de libéraux-nationaux qui soutiennent M. de Bismarck depuis 1870 reculaient devant cette humiliation d’un désaveu public de toutes leurs opinions sur les prérogatives parlementaires. C’était dur pour des libéraux de se résigner à reconnaître, selon le mot ironique d’un radical allemand, M. Jacobi, que « l’empereur seul a le droit de régler ce qui a trait aux institutions militaires de l’empire. Quant au Reichstag, il a le devoir d’accorder les crédits qu’on lui demandera. » C’est là au fond toute la question. Les libéraux-nationaux ont fait des façons pendant quelques jours, ils se sont donné un certain air de résistance ; ils ont fini par se rendre à une espèce de transaction qui accorde au gouvernement tout ce qu’il demandait, en limitant toutefois à une durée de sept ans la fixation du contingent. L’empereur, M. de Bismarck et M. de Moltke vont avoir ainsi leur septennat militaire.

À vrai dire, si grave que parût ce conflit, le dénoûment n’était pas difficile à prévoir, il était inévitable dans la situation actuelle. Aujourd’hui comme il y a dix ans, bien plus qu’il y a dix ans, l’empereur Guillaume attachait trop de prix à rester le maître absolu de l’armée pour céder sur un tel point. Il ne l’avait pas caché dans les réceptions qui ont eu lieu à l’occasion du soixante-dix-huitième anniversaire de sa naissance. Il l’avait dit à ses généraux, il l’avait laissé entendre dans une allocution au magistrat municipal de Berlin, et dès que l’empereur, retrouvant sa verdeur de volonté, se montrait prêt à braver le conflit jusqu’au bout, il y avait toutes les chances possibles pour que le parle-