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apaiser les rivalités, les querelles secondaires, et préparer à la France quelques années de repos sous un régime qui n’ait point sans cesse à se défendre contre les interprétations captieuses et les pressions des partis extrêmes, qui n’ait à s’occuper, avec le concours de tous, que du pays et de ses intérêts.

Après tout, ces partis, qui revendiquent sans cesse l’héritage du gouvernement de la France, les uns au nom de la royauté traditionnelle, les autres au nom de l’empire, ces partis sont plus turbulens que puissans. Ils font du bruit, ils en imposent quelquefois par des agitations factices, et ils seraient bien embarrassés, s’ils devaient arriver à un résultat, parce qu’alors on les jugerait, non sur leurs prétentions et leurs manifestations, mais sur leurs titres, sur, ce qu’ils représentent aux yeux de la France. Que représentent les bonapartistes pour la France ? Ils parlent d’appel au peuple, de plébiscite, de la prospérité des dix-huit ans, croyant sans doute ainsi surprendre les esprits simples. Ils pensent qu’on a oublié les désastres de 1870. Si on pouvait les oublier, à chaque instant des circonstances nouvelles, des révélations inattendues, viendraient raviver ces tristes souvenirs. Voilà donc une fois de plus démontrée l’habileté diplomatique avec laquelle le gouvernement impérial avait préparé cette effroyable guerre ! M. le duc de Gramont avait cru pouvoir se servir, il y a quelque temps, d’un passage détaché d’une dépêche de M. le comte de Beust pour laisser croire à des combinaisons savantes, à des alliances certaines. Elle vient d’être publiée, cette dépêche de M. de Beust, elle sort bien à propos de l’obscurité des archives secrètes d’où l’a tirée une main inconnue, et que dit-elle ? Rien de plus que ce qu’on savait ou ce qu’on soupçonnait. La dépêche de M. de Beust accuse plus vivement encore la légèreté avec laquelle on a pu voir la garantie d’un concours prochain là où il n’y avait qu’une promesse bien éventuelle. Oui, sans doute, M. de Beust s’empresse de reconnaître la solidarité des intérêts autrichiens et des intérêts français ; mais l’Autriche avait besoin de détourner l’attention de la Russie, dont les connivences avec la Prusse étaient parfaitement connues ; elle avait besoin de temps pour compléter ses armemens, pour préparer une action commune avec l’Italie. Avant que tout cela fût accompli, il fallait plusieurs mois, de sorte que ces alliances dont on parle nous étaient promises pour un moment où il était vraisemblable qu’elles ne seraient plus nécessaires. Est-ce pour recommencer de si brillantes campagnes que l’empire nous offrirait ses services, comptant sur l’oubli de la France ?

La politique emporte tout, les souvenirs, les passions, les gouvernemens et les hommes. Au milieu de ces luttes ardentes du moment, la mort vient d’enlever brusquement, du coup le plus imprévu, un homme jeune encore, dans la maturité de la vie et dans l’essor de son ambition, M. Beulé, qui n’avait pas encore cinquante ans. Nul n’avait eu