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l’urne, et elle éclata en effet : de tout cela, on ne se souciait guère. On ne voyait que mines. On en causait le jour, on en rêvait la nuit, et les théories, les projets, les illusions, allaient leur train. C’est à peine si le soir les maisons de jeu ouvraient un moment leurs portes, et si les joueurs s’y tiraient entre eux quelques coups de revolver; c’était bon naguère en Californie ! Cette fois on n’avait qu’une idée, qu’un but, courir aux mines d’argent, acheter, vendre, puis racheter et vendre encore des pieds et des pieds de filon. Tous nous devions faire fortune, tous nous devions nous réveiller millionnaires. On appelait le pays de Washoe le paradis de l’homme pauvre, et souvent nous n’avions pas de quoi payer notre dîner ! »

Dès le printemps de 1860, des milliers de mineurs étaient accourus, suivis d’une bande de spéculateurs et de capitalistes. Une nuée de chercheurs se répandit par toute cette contrée, auparavant sauvage, et que le pas de l’homme blanc n’avait foulée que sur de très rares endroits. Ce fut autour du filon de Comstock que s’agita de préférence l’essaim des travailleurs. Chacun voulait avoir au moins une part dans l’une des mines d’argent dépendant de ce riche filon. On achetait une mine sans la visiter, elle était souvent en un lieu où jamais n’était passée l’ombre d’une veine métallique. On avait oublié toute prudence, on ne songeait qu’à acheter, et il suffisait de la nouvelle d’un succès inespéré obtenu sur un point pour encourager tout le monde. Il semblait qu’il n’y eût que des mines riches, pas une pauvre, alors que c’est presque toujours le contraire. Les statuts de 3,000 compagnies minières furent enregistrés à San-Francisco, et 30,000 personnes prirent des intérêts dans ces affaires[1]. Le capital nominal était de 1 milliard de piastres ou 5 milliards 300 millions de francs, mais la valeur réelle des actions n’excéda jamais 50 millions de francs, car une à peine des compagnies sur cent possédait une concession de quelque valeur. Cependant l’organisation légale de chaque compagnie avait dû coûter en moyenne 100 piastres, soit plus de 1 million 1/2 de francs pour les 3,000 compagnies, et il avait bien fallu que quelqu’un fournit cet argent.

Le filon de Comstock était situé dans ce qu’on appelait alors l’Utah occidental. Cette partie du pays des mormons fut bien vite organisée en territoire et détachée de l’Utah sous le nom de Nevada, emprunté à la sierra voisine. D’après la formule suivie en pareille matière, ce fut le peuple, c’est-à-dire l’assemblée des mineurs réunis en convention le 2 mars 1861, qui promulgua la constitution du nouveau territoire, lequel fut admis dans l’Union comme état

  1. Voyez Ross-Browne, Mineral ressources of the United-States, Washington 1867.