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minerai; les chimistes et les ingénieurs s’étudiaient à l’envi à en déterminer le meilleur mode de traitement. Sans attendre le résultat de ces expériences, mineurs et spéculateurs partirent en foule; chacun voulut marquer sa concession, son claim, sur l’étendue du nouveau filon, et il sembla un moment que le métal blanc allait l’emporter sur le jaune. Presque partout les placers et les mines de quartz aurifère furent immédiatement délaissés. Pendant tout l’été, il y eut un grand mouvement, ce que les Américains appellent un excitment, ou encore un rush, une course folle, et les Espagnols el furor minero, la fièvre minérale. Ce fut comme un exode irrésistible, qui poussa les colons du Pacifique au-delà des pics ardus de la sierra. On craignit un moment que la Californie n’en fût dépeuplée, tout comme elle avait failli l’être quelques années auparavant, lors de la découverte des trop fameux placers de Fraser-River, dans la Colombie britannique, près de l’île de Van-Couver; mais l’automne vint et avec lui les neiges, qui comblèrent les passes de la sierra. Il fut dès lors presque impossible de gagner la mine de Washoe, et chacun attendit le printemps suivant.

J’étais à cette époque en Californie, chargé de diriger l’exploitation de gîtes aurifères dans le comté de Mariposa. Je quittai le pays de l’or au commencement du mois de décembre 1869, forcé de me rendre au Chili. Quand je revins à Paris au mois de mai 1860, je trouvai la France émue au récit des découvertes de Washoe et de ces nouvelles exploitations d’argent. Tous les banquiers étaient en éveil. Le gouvernement français se préparait alors à abaisser, comme il l’a fait depuis, le titre de ses monnaies d’argent, afin de parer au défaut d’équilibre entre les deux métaux précieux, lequel avait été amené par une trop grande abondance de l’or. Avant d’accomplir l’opération qu’il projetait, le gouvernement, pour s’édifier complètement sur les récentes découvertes, dépêcha sur les lieux un de ses ingénieurs des mines. Celui-ci vint à Washoe, annonça aux mineurs qu’ils étaient sur un filon d’or et non sur un filon d’argent, et rédigea son rapport sur ces conclusions. Ce fait est resté légendaire dans tous les états du Pacifique. Les pionniers de Washoe laissèrent dire le théoricien, et ils s’escrimèrent si bien sur leur filon qu’en dix ans, de 1860 à 1870, le Nevada produisit un poids de lingots d’argent estimé en moyenne à 70 millions de francs par année. Le Mexique tout entier, le plus riche des états argentifères du globe, n’en fournit pas davantage.


I. — LE FILON DE COMSTOCK.

Ce fut un soir du mois d’octobre 1868 qu’abandonnant pour un moment la Californie, où j’étais depuis peu retourné, je pris le