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est entre ses mains. Il traite les affaires, il est responsable; on ignore jusqu’au nom des marchands qui ont conçu l’opération. Ceux-ci disparaissent dans une espèce de société qu’on appelle la commande, où l’on ne distingue pas l’armateur du constructeur et du négociant; c’est le berceau de l’industrie maritime. Quand les voyages devinrent fréquens et réguliers, il fallut dissoudre cette petite société, qui n’était plus en rapport avec l’étendue des opérations. Depuis la construction des navires jusqu’au trafic des denrées, chaque détail put occuper à lui seul l’activité d’une classe de négocians ; il y en eut pour vendre et acheter, pour avoir des chantiers, pour équiper le vaisseau, pour le diriger, et on les distingua les uns des autres. Ils n’eurent plus des intérêts communs. En même temps, à mesure que les mers étaient mieux connues, les voyages plus faciles, la prépondérance passait du capitaine à l’armateur. Ango, Jacques Cœur, devinrent les rois de la mer. Il y eut plus de mérite à traiter une affaire du fond du cabinet qu’à la conduire à travers les flots, parce que le risque commercial était aussi grave que les chances de la traversée. Toutefois l’armateur et le marchand se confondaient encore. Les Hollandais montrèrent les premiers quelle espèce de trafic peut conquérir un pays qui manque de richesses naturelles; ils vécurent sur le commerce des autres nations, dont ils faisaient les transports, et se vantèrent, au XVIIe siècle, d’être les rouliers de l’océan. Par là fut augmentée cette division d’intérêts qui mit aux mains de l’armateur toute la conduite des affaires maritimes.

Si l’honneur des Pays-Bas fut d’avoir une marine aux dépens des autres peuples, Colbert mit le sien à conquérir la mer par les seules ressources d’un état florissant. Il faut admirer les vastes conceptions de ce ministre, dont la maxime était que la France peut se suffire à elle-même. Il porta une égale attention sur toutes les parties du trafic, ne pensant pas qu’il fallût favoriser les commerçans au détriment des armateurs, ou sacrifier à ces derniers l’intérêt des équipages. Comme il devait pourvoir à la sûreté d’un grand peuple et au recrutement des flottes, il soumit les marins au régime régulier de l’inscription maritime, et cette institution, toute militaire, tournait à l’avantage du commerce en réglant par des lois uniformes le service public qu’on exigeait naguère par la violence. Ayant introduit l’ordre et la dignité dans les équipages, il s’occupa moins de protéger les armateurs par un droit modéré que d’assurer un aliment à la marine. Cette prévoyance lui fit porter tout l’effort des prohibitions sur les deux points extrêmes qui communiquent par des transports : les manufactures de la métropole et les plantations des colonies. Tandis que les vaisseaux des autres nations