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de sorbiers, se dressent de hautes futaies de segnis dont la verdure sombre donne au paysage un aspect singulièrement triste. De temps en temps, le sentier serpente sous de hauts châtaigniers d’un aspect un peu plus gai ; puis voici qu’il se met à gravir désespérément une espèce de muraille qui semble nous barrer le passage. Pour y parvenir, il saute tantôt d’un côté, tantôt de l’autre du torrent, ici décrivant une courbe interminable, là festonnant le précipice, heureusement pourvu d’un garde-fou, toujours franchissant des ponts problématiques où mon brave Star a soin de ne s’engager que le dernier. Enfin, après de rudes efforts, nous voilà au sommet. Dans une petite chaumière à moitié cachée par les arbres, la neige et la brume, on se sèche un instant, car on est inondé de sueur après cette rude ascension. Depuis le matin, le temps était un peu brumeux, mais une éclaircie de courte durée permet d’apercevoir au sud, d’où je viens, toutes les crêtes qui dominent la vallée du Bandotarogawa, au nord, où nous allons, le pic de Tsinsendji, le Nikkosan, et à nos pieds, au loin, le massif de segnis qui indique les temples de Nikko. Je quitte à regret le sommet, d’où le vent du nord nous déloge, pour redescendre à Kosowo. La descente est plus facile que la montée. Nous faisons route en compagnie d’un joli petit ruisseau qui nous montre le chemin de Kosowo. Au bout d’une demi-heure de descente, on ne voit plus le cheval, qui va moins vite que les piétons. Or j’ai juré de ne plus me séparer de mes bagages, trop bien averti par l’aventure de l’Asamayama. Nous nous arrêtons ; mais dans la neige où s’asseoir ? Un bout de tronc d’arbre est bien vite apporté. Ce n’est pas tout, il faut se chauffer les pieds ; en un instant, un bûcher de branches mortes ou cassées est allumé. Le pauvre cheval arrive clopin-clopant, et on se remet en route.

A Kosowo, toutes les maisons sont fermées en plein midi, comme hier à Hachivo. Les shogis (carreaux de papier) étant lacérés, ces pauvres gens, n’ayant pas le moyen de les remplacer, — le papier est relativement cher, — préfèrent fermer leurs volets de bois du côté d’où souffle le vent. Le thermomètre marque zéro dans l’air, un demi-degré dans l’eau. Je déjeune dans une misérable hutte où la fumée s’enguirlande au plafond en longues tresses noires. Pendant que nous préparons notre repas, voici qu’arrive un pauvre diable de bûcheron qui n’est qu’à la moitié de sa journée ; il a ses deux haches à fin tranchant liées sur le dos, comme un soldat son sac, et enfermées dans un fourreau de paille pour éviter d’être blessé, à sa main le bâton montagnard, nécessaire pour atteindre les pentes inaccessibles d’où il fait tomber et rouler les troncs d’arbres dans la vallée. Il s’attable à son tour, c’est-à-dire s’accroupit, et, pour la