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que les bourgs de la plaine. Je me sens transporté à Subachiri, au pied du Fusiyama, ou sur les bords du Kisogawa. Salut, mes braves montagnards ! vous voilà donc une fois encore avec le calme grandiose de vos montagnes et la tranquillité de vos rues, où l’on n’entend que le cri rauque des aveugles et la cloche des temples.

Le 30, réveillé par une température de zéro degré, je quitte Omama à pied, suivi du cheval qui porte mes bagages, et de mon koskaî, qui a passé mon fusil en bandoulière. Le temps est magnifique, et, après avoir franchi le col d’Ognivara, je redescends à Amava. Rien de brusque comme le changement de température et d’aspect, suivant que l’on passe d’un versant à l’autre de cette vallée. Le versant placé au nord, exposé par conséquent au midi, est boueux de dégel et planté de mûriers qui se risquent jusque sur ses pentes, tandis que le versant du sud, qui ne reçoit que quelques rayons obliques du soleil couchant ou levant, est au contraire entièrement gelé. Le chemin craque sous les pas, les cristaux en aiguilles se brisent sous les chaussures, on retrouve la neige tombée il y a quinze jours. Il ne pousse ici que des châtaigniers ou des cyprès. En chemin, on ne rencontre que des chevaux de bât portait à la ville des planches découpées sur place, et bientôt un chantier en plein air s’offre à la vue.

Non loin de là est un petit cimetière, remarquable par son isolement, plus remarquable encore par la terre fraîchement remuée sur une grande longueur. Aurait-on commencé déjà d’appliquer un décret récent du gouvernement? Il faut savoir qu’un tiers environ des bouddhistes, composant la secte de Monto, très répandue au Japon, brûlent leurs morts, suivant un rite qu’il a été question d’introduire en Europe, et qui en tout cas est excellent en lui-même et respectable partout où les mœurs l’admettent. Or le daidjokan (conseil suprême) a ordonné que les morts seraient désormais enterrés sans crémation par toutes les sectes, et ces braves gens sont aujourd’hui contraints de creuser des fosses, sans savoir ni la profondeur ni la forme qu’il faut leur donner. Ce n’est pas en effet dans la position horizontale que les sectes qui ensevelissent leurs morts les placent dans la terre ; le plus généralement, le mort est accroupi, ramassé sur lui-même dans la position d’un homme à genoux, assis sur ses talons et courbant son front jusqu’à terre. C’est dans cette posture, qui ne demande pour bière qu’un coffre carré, que les pauvres gens, les marchands, les paysans, vont, après s’être courbés toute leur vie durant, se prosterner après leur mort. Les hommes de haut rang se font souvent enterrer assis. La famille de Mito enterrait ses morts couchés.

Amava est un petit village de sapin, tout pareil aux villages du