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une des rencontres qui venaient d’avoir lieu dans le Kansas. Il refusa de me vendre pour 20 dollars (100 francs) ce trophée, que je voulais acheter pour le Muséum de Paris. — Quelques personnes scalpées vivantes sont revenues de cette terrible opération. En 1867, à Omaha, sur le Missouri, j’ai vu un blanc qui avait été scalpé trois mois auparavant par les Indiens. Il n’est pas rare de rencontrer dans l’extrême ouest, sur les confins des tribus, des pionniers dans le même cas.

Quand la chevelure est belle et qu’il a enlevé avec elle toute la calotte du crâne, l’Indien porte ces scalps à la guerre au bout d’un bâton, et souvent il en peint la peau en vermillon à l’intérieur, ce qui pourrait faire croire qu’ils sont encore saignans ; mais ils ont été nettoyés et tannés avec grand soin. Les scalps plus petits sont portés en franges le long de la couture des hauts-de-chausse, ou sur le bord et le devant de la robe de bison. A voir ces filasses noires, soyeuses, on les prendrait pour de l’astrakan. Les scalps sont reçus avec des cris de joie par les femmes de la tribu qui attendent les guerriers; elles s’emparent de ces hideux trophées pour leur donner la dernière préparation, et préludent avec des sauts de tigresses à la « danse du scalp. » Les prisonniers que l’on ramène sont gardés en esclavage, et quelquefois on les livre aux femmes, qui les font mourir lentement dans d’affreuses tortures, en leur arrachant un jour un œil ou les ongles, leur coupant l’autre jour un pied, et à la fin leur allumant du feu sur le ventre, pendant qu’elles dansent en rond. Ce n’est pas là un moyen d’apaiser les vieilles haines; aussi existe-t-il des tribus qui ont toujours été en guerre entre elles de temps immémorial, comme les Paunies et les Sioux.

Aucune des nations indiennes n’a de légendes bien certaines sur leur première apparition en Amérique, sur leurs anciennes migrations. Quelques-unes croient que la race primitive a un jour été emportée dans une grande inondation, et qu’un homme seul et une femme ont été sauvés par Manitou, le Grand-Esprit, et destinés par lui à repeupler le monde. On retrouve là la tradition du déluge de Noé, qui existe partout, même chez les Chinois. Les Indiens croient aussi que Manitou a fait les prairies, ces immenses champs de graminées naturelles qui s’étendent du Missouri aux Montagnes-Rocheuses, exclusivement pour les Indiens, pour y chasser éternellement, et non pour être colonisées par les blancs. Ils regardent les étoiles comme des lampes suspendues au firmament pour égayer la terre la nuit; lorsqu’ils voient filer une étoile, ils disent que c’est le fil qui s’en est cassé et que la lampe tombe. Selon eux, le firmament est une calotte d’azur solide. La lune est éclairée par le soleil, et un animal fantastique la mange peu à peu jusqu’à ce qu’elle re-