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pellent pour cette raison du nom étrange « d’homme de médecine.» Les premiers coureurs des plaines de l’ouest, les Canadiens et les Louisianais, qui étaient loin d’être des lettrés, ont fait dans la traduction de certaines expressions indiennes un grand abus de ce mot de « médecine, » qui est maintenant partout adopté, même par les Anglo-Américains, et qui est comme l’équivalent de tout ce qui, dans la langue des sauvages, veut dire merveilleux, surnaturel, divin ou diabolique, par exemple le mot waken en sioux. « L’arme de médecine, » c’est le fusil, « l’eau de médecine » toute liqueur forte. Dieu ou son représentant, c’est « l’homme de médecine. » Quand le pianiste Henri Herz vint se faire entendre à la Nouvelle-Orléans, un Natchez appela son piano « la boîte de médecine. » La « loge de médecine, » qui existe dans toutes les tribus, est la demeure sacrée du prêtre, celle où les croyans suspendent leurs amulettes, celle où il reçoit les initiés, les soumet à certaines pratiques qui rappellent celles des francs-maçons, mais sont quelquefois en réalité terribles. Il y traite aussi les malades et y applique aux patiens des ventouses de sa façon ou les bains de vapeur torrides, qui les font suer jusqu’à extinction de force vitale.

C’est pour les éternelles raisons qui ont toujours divisé, qui diviseront toujours, hélas! l’humanité, que deux tribus se font souvent une guerre à mort. Pourquoi se battent les tribus? Pour un territoire neutre, pour une limite de frontière, qui n’ont pas été respectés, — pour un champ de chasse qu’on se dispute, ou bien encore pour une femme, pour une Hélène enlevée à la tribu par quelque Paris d’un camp rival. L’arme principale du combattant est l’arc. Le guerrier porte une trentaine de flèches et plus dans un élégant carquois fait de la peau d’un animal sauvage. La pointe des flèches est généralement en fer; à cause de sa forme même, elle reste souvent dans la blessure, mais elle n’est presque jamais empoisonnée. On scalpe invariablement son ennemi mort, et cet usage existe chez toutes les tribus. Pour scalper, on couche le mort la figure contre terre, et avec un instrument tranchant, un couteau, un os effilé, une pointe de fer acérée, on incise en rond soit toute la calotte, soit seulement la partie culminante du crâne. L’Indien appuie alors un genou sur sa victime, saisit une touffe de cheveux et tire à lui. « Ça vient tout seul, » me disait le traitant Pallardie un jour qu’il me donnait dans les prairies une leçon de scalp, car les blancs ne se font pas faute de scalper aussi les Indiens. J’ai vu à Washington en 1869, aux mains d’un soldat de l’Union, un scalp entier, c’est-à-dire avec toute la peau du crâne bien nettoyée et bien tannée, et dont les cheveux mesuraient plus d’un mètre de long. C’était la chevelure d’un Indien que le soldat avait lui-même tué et scalpé dans