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Les peaux de bison, étendues par terre, en dedans, tout autour de la loge, servent à la fois de lits, de canapés, de sièges; on y dort, on y fait la sieste. Toute la famille couche dans la même hutte, le père, la mère, les jeunes hommes, guerriers à leur aurore, les enfans. Dans le jour, on reçoit là ses amis, et l’on joue aux cartes, au jeu de la main, sorte de morra, comme celle des Italiens, ou bien l’on cause. La conversation est lente, et se fait à voix basse, d’une façon presque solennelle; chacun parle à son tour et peu, tandis que le calumet circule à la ronde, présenté et reçu d’après les rites de la tribu. Les hommes s’amusent, la femme va et vient, porte de l’eau, allaite les enfans, dépèce les quartiers de venaison, tisonne le feu, prépare au dehors les peaux de bison ou de castor, étrille même les chevaux.

Un certain nombre de huttes composent ce qu’on nomme « un village indien. » Le géomètre, l’explorateur, qui auraient marqué ce village sur leur carte seraient bien étonnés au bout de quelques mois, peut-être même de quelques jours, de n’en plus retrouver l’emplacement, tant les bandes sont vagabondes. Le cadastre n’a rien à faire ici, et le fisc n’y lève aucune taxe. On n’y paie de terme à personne, on déménage selon le vent et la saison, pour suivre les animaux que l’on chasse, changer le pâturage des chevaux, s’éloigner ou se rapprocher de l’ennemi. Il est des villages stables, mais ils sont vus de mauvais œil par le nomade guerrier. Là résident ceux des Indiens que les Américains ont appelés loafers, comme qui dirait paresseux, mendians. Ces gens sans foi ni loi s’établissent auprès des forts, vivent d’aumônes, leurs femmes se vendent aux passans, ils ne chassent et ne pèchent presque plus, ne vont plus à la guerre, et ont complètement oublié les nobles traditions de leurs aïeux. J’ai vu au fort Laramie un de ces villages d’Indiens dégénérés; on les appelait les Laramie-loafers. C’étaient des Sioux rejetés de leur tribu pour quelques méfaits, paresseux, indolens, voleurs, et que les soldats avaient peine à tenir en respect. En Californie, dans la Nevada, j’ai vu aussi de ces villages de loafers, notamment près des camps de mineurs. Les chercheurs d’or, mieux encore que les soldats, savaient les mettre à la raison.

Les Indiens font la guerre et la chasse à cheval, avec la lance, l’arc, la hache ou plutôt la massue ou casse-tête, le tomahawk, comme armes offensives, et souvent un vieux fusil à percussion et un pistolet ou un revolver. Comme armes défensives, ils ont le bouclier. On se prépare à la guerre et aux grandes chasses par des chants, par des jeûnes, par des prières, et par les invocations du magicien, qui est à la fois le savant, le prêtre et le médecin de la tribu, quelque chose comme le marabout et le tabib des Arabes ; les blancs l’ap-