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avaient fait de copieuses libations, la parole trahissait la pensée des orateurs. Les enterremens exclusivement civils sont aujourd’hui dans la proportion de 4 à 5 pour 100, ce qui ne semble pas excessif lorsque l’on se rappelle la propagande qui a été entreprise à cet égard. Quel emblème place-t-on sur la tombe d’un libre penseur pour la reconnaître? Invariablement une croix. On tente parfois de se rabattre sur l’épitaphe et d’en faire une déclaration de principes; mais cela n’est pas facile. L’ordonnance de 1843 est péremptoire, toute inscription est soumise au visa de l’autorité municipale. Au premier abord, cela paraît intempestif, et l’on estime que chacun a le droit d’honorer à sa guise la mémoire des morts. C’est là une opinion dont on revient promptement lorsque l’on a entre les mains la copie des épitaphes refusées. Il est impossible de se figurer un tel ramassis de niaiseries et de sottises. Je laisse de côté celles qui cachent un sens répréhensible au point de vue de la morale; à ne s’occuper que des phrases qui donneraient à rire, que doit-on penser de ceci : « ici repose le deuil de la couronne de Henri IV et le deuil de la couronne de Louis XVIII; gloire au vieux soldat et au jeune. » — « Elle aurait donné pour son mari ce que le pélican donne à ses petits. » — « X, décédé à l’âge de trois mois; sa vie ne fut qu’abnégation et sacrifice. » C’est à l’infini que je pourrais multiplier de telles citations. De braves gens mus par un sentiment sérieux ne se doutent pas qu’ils font une chose ridicule en voulant écrire sur la tombe d’un homme âgé de soixante-quatorze ans : « Le ciel compte un ange de plus !» On a grand’peine à leur faire comprendre que leur intérêt même exige qu’on ne se moque pas de l’expression de leurs regrets; ils maugréent et accusent l’autorité de despotisme.

Les épitaphes qui sont tant soit peu singulières excitent une curiosité excessive. Dans un de nos trois grands cimetières, sur une tombe fort modeste, on a gravé une inscription qui relate un fait pathologique rare, mais non point sans exemple. Lorsque la foule envahit les cimetières au jour des trépassés, on est obligé de placer des agens près de ce tombeau, parce qu’il est tellement environné de curieux que les sépultures mitoyennes ont à en souffrir ; on se presse, on s’entasse pour mieux voir, et, sans y prendre garde, on brise les grilles ou les clôtures voisines. Les inscriptions qu’on lit sur les dalles tumulaires sont bien peu variées et le plus souvent d’une vulgarité désespérante. Il y a longtemps que l’on a dit : menteur comme une épitaphe. Regrets éternels, éloges de toute vertu, espérance de bientôt se rejoindre, on tourne toujours dans le même cercle de phrases toutes faites et de sentimentalités banales. Chez les gens d’éducation médiocre, l’épitaphe n’est plus l’expression de regrets éprouvés; elle semble n’être qu’un acte de politesse