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redevint maîtresse de ce lieu charmant. Vers 1839 ou 1840, on déracina les arbres, dans le trou on versa quelques charretées de gravois, et maintenant c’est un terrain attristé de tombeaux uniformément laids et entourés de buis. Le cimetière est froid d’aspect, coupé par de grandes allées ombreuses; près de la croix, le tombeau de Godefroy Cavaignac montre l’admirable statue qui fut modelée par Rude et par Christophe; l’eau des pluies s’accumule dans les plis de la draperie en bronze, et les petits oiseaux y vont boire. Il y a là aussi, plus loin, au milieu d’un dédale de tombes, une autre statue couchée et si élevée sur le piédestal qu’il est difficile de la voir. On l’a inaugurée en grande pompe, et elle a entendu plus d’un discours. C’est là un mauvais reste de nos haines et un appel à des sentimens néfastes. Si l’oubli du mal et cette fraternité dont on a volontiers le mot à la bouche doivent être prêches, c’est sur les tombeaux. Les monumens expiatoires, les sépulcres commémoratifs ne sont bons qu’à raviver des souvenirs qu’il faut laisser éteindre. Dans nos temps troublés, quel est l’homme politique qui peut se glorifier de n’avoir jamais rêvé l’appel à la violence? Le culte des morts n’est sacré qu’à la condition de rester abstrait.

Après la grande bataille de mai 1871, l’on a porté au cimetière du nord 783 fédérés, qui ont été inhumés côte à côte, dans leurs vêtemens sanglans, au fond d’une tranchée longue de près de 100 mètres. La folle avoine a poussé sur leurs corps et a nivelé le terrain; mais un jour une vieille femme vint qui se mit à arracher les herbes, à préparer la terre et à planter quelques fleurs sur un coin de cette vaste fosse. Il semble qu’elle se soit donné une tâche à laquelle elle ne veut faillir. Chaque matin, elle arrive dès que les portes du cimetière sont ouvertes, et tout le jour elle est là, agenouillée, fouissant la terre et la rendant plus meuble; elle apporte des plantes dont quelques-unes sont rares et belles. Les gardes ne la dérangent jamais; elle s’entend au jardinage et y met une vive ardeur. Dans peu de temps, si elle continue, elle aura changé ce terrain désolé en une plate-bande ruisselante de fleurs. A-t-elle fait un vœu? est-elle payée pour cette rude besogne? Je me suis bien gardé de le demander.

Le cimetière du sud, Montparnasse, n’a été ouvert que le 25 juillet 1824 ; destiné d’abord aux hôpitaux, établi dans des terrains vagues que l’on nommait le champ d’asile, il fut agrandi en 1846, et contient actuellement 18 hectares 44 ares 53 centiares. On comprend bien difficilement que l’on ait eu l’idée d’établir un cimetière dans un endroit pareil, précisément au-dessus des catacombes. Ce terrain est un écumoir, il n’y a que des fontis; les arbres descendent tout seuls dans les carrières et parfois les tombes aussi; quelques-uns