Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/838

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

concessions temporaires, et 63 dans ce que la tradition du peuple nomme encore la fosse commune.

Paris a beau avoir de nouveaux cimetières à Ivry et à Saint-Ouen, il a beau s’être approprié ceux des communes qui jadis composaient sa banlieue, il croit toujours qu’il n’a que trois cimetières, l’Est, le Sud et le Nord; ces termes administratifs lui sont peu familiers, et n’éveillent aucun écho dans sa pensée; mais parlez-lui du Père-Lachaise, de Montmartre, de Montparnasse, il saura à quoi s’en tenir. Le Père-Lachaise surtout a grand renom, et il est aussi populaire aujourd’hui que le cimetière des Innocens le fut autrefois. Il domine notre ville, il a reçu nos grands hommes, il est ombragé par de vieux arbres magnifiques, il est un lieu de promenade et de pèlerinage; Paris en est fier et le montre avec orgueil aux étrangers. Ce cimetière n’a pas toujours eu les dimensions qu’on lui voit aujourd’hui : les premières acquisitions, faites par Frochot en l’an XI, comprenaient 17 hectares et avaient coûté 160,000 francs; les terrains, on le voit, étaient moins chers qu’à présent. A peine fut-il livré au public, le 21 mars 1804, qu’on sentit la nécessité de le rendre plus vaste, et la contenance en fut portée à 26 hectares 50; des agrandissemens faits en 1849 et en 1850 lui donnent aujourd’hui une superficie de 43 hectares 95 ares 56 centiares. C’est le plus grand cimetière de Paris. L’origine en est intéressante. Toute cette colline, autrefois couverte de vignes et de cultures, était une propriété de l’évêché de Paris, et s’appelait le Mont-l’Evêque. Un épicier enrichi en acheta une partie, et y fit construire en 1547 une maison de plaisance admirablement située pour découvrir Paris, et que l’on nomma la Folie-Regnault; une rue voisine en garde le souvenir. Les jésuites de la rue Saint-Antoine l’acquirent en 1615, et y établirent une « maison des champs » où ils allaient faire retraite à certaines époques de l’année. On dit que, le 2 juillet 1652, Louis XIV enfant assista d’une fenêtre de cette maison au combat dont Mademoiselle décida l’issue en faisant tirer le canon de la Bastille. La flatterie ne manqua pas une si belle occasion de s’affirmer, et de ce jour ce fut le Mont-Louis. En 1676, le roi en fit don au père Lachaise, son confesseur; la Folie-Regnault fut démolie et remplacée par une maison qui subsista jusqu’en 1820; celle-ci était assez laide et composée de deux étages de style commun surmontés d’un belvédère à trois fenêtres qui prenaient vue sur la ville. Elle occupait l’emplacement de la lourde chapelle centrale qui fut inaugurée en 1834[1]. Le nom du confesseur seul a subsisté, et Mont-Louis n’est plus connu.

  1. « De la butte du Jardin (du Roi), j’ai vu de l’autre côté de la rivière, sur la pente d’une chaîne de collines, le palais ou la maison de campagne du père de Lachaise, confesseur du roi ; elle est dans une belle exposition au midi et bien boisée à droite et à gauche. C’est une demeure fort convenable pour un esprit contemplatif, » Voyez Voyage de Lister à Paris en 1698, p. 168.