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fièvre chaude où la guillotine, en permanence sur nos places publiques, allait exiger pour elle seule la création de cimetières supplémentaires, dont l’un est devenu la propriété indivise de plusieurs familles qui s’y font encore enterrer. Les exécutions avaient lieu à l’est et à l’ouest de la ville. La commune, prévoyante et voulant éviter un trop long trajet aux suppliciés, fit ouvrir deux cimetières, l’un au levant, près de la place du Trône, hors des murs, derrière les jardins de l’ancienne maison des dames chanoinesses de Picpus, l’autre au couchant, près de la place de la Concorde, qui était devenue la place de la Révolution, dans un grand terrain dépendant de l’ancienne paroisse de la Madeleine et servant de potager aux religieuses bénédictines de la Ville-l’Évêque.

Le cimetière de Picpus n’est point fermé; il est situé au bout du jardin des dames de l’adoration perpétuelle; c’est là que fut enterré le général Lafayette. Il a été acheté par des familles qui ont voulu être réunies après la mort à ceux de leurs parens que la révolution avait inhumés là après les avoir tués[1]. La partie du cimetière de la Madeleine où l’on a cru retrouver les restes de Louis XVI et de Marie-Antoinette est occupée par la chapelle expiatoire entourée d’un square ; des constructions couvrent les terrains, qui, prenant façade sur la rue de la Ville-l’Évêque, longeaient toute la rue de l’Arcade, et étaient séparés de la rue d’Anjou par une suite de maisons non interrompue. On a dit que l’on avait été obligé d’abandonner ce cimetière parce qu’il était plein. C’est inexact : la place n’y manquait pas; seulement il était fort mal situé, au milieu d’un quartier peu peuplé, mais riche; il était en outre « le sujet des diatribes des aristocrates et des contre-révolutionnaires; » on résolut de le déplacer. On fit choix d’une sorte de désert qui, s’appuyant contre les murs mêmes de la Folie-Chartres, c’est-à-dire du parc Monceau, était bordé par le mur d’enceinte, la rue de Valois et la rue du Rocher, qui à cet endroit s’appelait la rue des Errancis. Ce fut le cimetière de Mousseaux, comme l’on disait administrativement ; mais pour le peuple de la petite Pologne le vieux mot avait persisté, et ce fut toujours le cimetière des Errancis. Il dominait et pouvait regarder la voirie établie au bas de la butte, sur les lieux où la place Delaborde s’étale actuellement. Il dut être « inauguré » en juillet 1793, car le corps de Charlotte Corday fut un des premiers que l’on y transporta. Il reçut les fournées de thermidor; ces durs hommes de la montagne y furent rejoints plus tard par Bourbotte, Romme, Goujon, Duquesnoy, Duroy et Soubrany. Le cimetière

  1. Voyez, dans Anne-Paule-Dominique de Nouilles, marquise de Montaigu. in-8o, Rouen, 1859, le chapitre intitulé l’Œuvre de Picpus, p. 208 et seq. C’est l’histoire de la création de ce cimetière.